"14 kilomètres", de Gerardo Olivares

Deux ans après l’oecuménique ’La Grande Finale’, l’Espagnol Gerardo Olivares signe son second long métrage, ’14 kilomètres’, sur le chemin de l’immigration clandestine en Afrique. Sacré meilleur film au dernier festival de Valladolid en 2007, ’14 kilomètres’ met en scène une Afrique aride et intense, désespérée et lyrique.

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Après avoir réalisé de nombreux documentaires sur l’Afrique, Gerardo Olivares y consacre son second long métrage. ’14 kilomètres’ fait référence à la distance séparant le Maroc de l’Espagne, la dernière étape d’un périple qui peut se révéler mortel mais le sésame vers la vie rêvée des migrants. A mi-chemin entre documentaire et fiction, le film délivre une vérité bouleversante sur fond d’images superbes d’un continent à bout de souffle. Mettant en lumière ceux qui veulent fuir l’Afrique à tout prix, il partage ainsi leur espoir d’une vie meilleure. Entre le Niger et le Maroc, le tournage éprouvant de ’14 kilomètres’ - paludisme, escorte militaire et relations tendues avec les autorités africaines - n’a en rien entamé l’enthousiasme de son réalisateur ni son empathie pour ceux qui se lancent sur le chemin de l’immigration. Rencontre avec un cinéaste du monde, épris d’un continent à la croisée des chemins entre modernité et tradition.

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Après avoir réalisé de nombreux documentaires sur l’Afrique, pourquoi cette fiction ?

En réalité, ce devait être un documentaire sur la filière clandestine d’immigration. J’ai hélas rapidement réalisé que les protagonistes de cette mafia clandestine ne se laisseraient pas filmer dans un documentaire. J’ai donc poursuivi sans caméra, afin de réunir les éléments me permettant d’écrire un scénario. Puis, nous sommes revenus en expliquant que nous tournions un film de fiction. J’ai rusé en racontant qu’il s’agissait d’un road-movie, sans mentionner l’immigration illégale. Les membres des réseaux clandestins étaient alors en confiance et se sont laissé filmer plus facilement. Au final, le film est un docu-fiction : les acteurs ne sont pas professionnels mais interprètent leur propres personnages, les situations sont véridiques ainsi que les lieux, comme par exemple le bordel à Agadez.


Bouba, l’un des héros du film, veut devenir footballeur et c’était également le thème de ’La Grande Finale’ en 2006. Croyez-vous en l’universalité du football ?

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Je ne suis pas un amateur de football mais c’est le sport le plus populaire au monde. Dans ’La Grande Finale’, c’était une métaphore évoquant la mondialisation. Pour ’14 kilomètres’, je tenais à ce que Bouba soit footballeur car à chaque fois que je vais en Afrique, je rencontre des jeunes gens qui rêvent de devenir des stars du ballon rond, comme Diarra ou Drogba. Ils imaginent que c’est le meilleur moyen d’échapper à la pauvreté, rêvant de jouer dans un club européen.


Dans le film, un Touareg dit qu’il ne quitterait pas son village, même pour de l’argent. Le vrai courage est-il de rester ?

Les Africains croient profondément en leurs pays et c’est une terre d’opportunités. Malheureusement, il manque aussi une réelle capacité à entreprendre. On sent une sorte de résignation culturelle. Par exemple, les trois acteurs du film ont été bien payés et j’espérais qu’ils allaient monter une affaire dans leur pays - Bouba et Mukela sont mécaniciens et ils envisageaient d’ouvrir un garage à Niamey. Malheureusement, ils ont tout dépensé. Ils sont persuadés qu’ont peut bâtir quelque chose en Europe et en Amérique, mais pas en Afrique.


La filière d’immigration tire profit du désespoir de ces aspirants à l’exil…

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L’Union européenne met une très forte pression sur le Maroc et l’Algérie pour stopper le flux d’immigrés vers l’Europe. A partir de l’Algérie, les intermédiaires exigent d’immenses sommes pour corrompre les autorités. Le risque est trop grand et les candidats à l’immigration innombrables. On dit qu’il y a en permanence 2 à 4 millions d’immigrants de l’Egypte au Maroc, attendant de traverser la Méditerranée. Tant que la demande sera si forte, les migrants ne pourront être qu’exploités.


Les douaniers sont-ils également victimes d’un système qu’ils n’ont pas choisi ?

Lors de mes recherches, j’ai notamment rencontré un douanier à Tarifa, dans le sud de l’Espagne qui m’a confié qu’ils étaient obligés d’arrêter les gros bateaux qui traversaient le détroit de Gibraltar. Mais qu’ils fermaient fréquemment les yeux sur un fugitif isolé car ils savent très bien ce qui est en jeu et ce sont aussi des êtres humains. J’ai rencontré des policiers des deux bords : ceux qui considèrent que les Noirs sont des chiens dont il faut se débarrasser et puis les autres, qui savent qu’il s’agit d’une chance unique pour ces immigrants qui n’ont pas d’autre choix pour échapper à la guerre et la misère.


Comment améliorer les politiques d’immigration européennes ?

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Il est temps pour l’Europe de rendre un peu de tout ce qu’elle a pris à l’Afrique. L’Union européenne devrait avoir une politique concertée de développement en Afrique. Il faut d’abord apprendre aux Africains à investir dans la durée avec des systèmes de micro-crédit par exemple. Puis fournir de l’argent pour mettre en pratique. Mais c’est un long processus car le développement se fait lentement, comme ce fut le cas en Europe auparavant. On ne peut pas demander à l’Afrique de se développer en cinquante ans.


Que penser de l’immigration choisie ?

En Afrique, ce sont essentiellement des jeunes des villes, souvent diplômés qui tentent de rejoindre l’Europe. Ils ne voient pas d’avenir dans leur pays et préfèrent tenter leur chance, inconscients des risques de l’immigration clandestine. Si les pays européens pratiquent l’immigration choisie en sélectionnant les médecins, les professeurs et ingénieurs, cela va accélérer la fuite des cerveaux. C’est un concept qui ne fait qu’augmenter le problème des pays pauvres, retardant d’autant leur développement.

La France a expulsé près de 30.000 immigrés clandestins en 2008...

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Il ne faut pas oublier que l’Europe a aussi besoin d’immigrés : la Commission européenne a publié une étude stipulant que dans les cinquante prochaines années, l’Union européenne va avoir besoin de 60 à 100 millions d’immigrants pour alimenter la croissance mais également le rajeunissement de la pyramide des âges. On ne peut pas ouvrir les portes lorsqu’on a besoin d’étrangers puis les jeter dehors par temps de crise. Ce n’est pas juste et il faut penser à l’avenir. Les 30.000 expulsions sont seulement un objectif ridicule pour faire valoir que l’on lutte contre l’immigration clandestine.


Les Africains ont-ils une image idéalisée de l’Europe au travers de la télévision ou des légendes qu’on leur raconte ?

L’Europe ressemble peu à leur version rêvée et nombreux sont ceux qui retournent dans leur pays d’origine. La déception est souvent au bout du voyage. Dans les pays européens, ils seront considérés comme des clandestins, des hors-la-loi. Sans compter que la vie est dure dans un pays développés lorsqu’on est pauvre. Actuellement, un million d’immigrés mexicains quittent les Etats-Unis, réalisant qu’avec la crise, quitte à être pauvre, autant l’être dans son propre pays. C’est un sujet qui me passionne et j’ai décidé d’en faire un prochain film.

 

Propos recueillis par Adriana Dimitrova pour Evene.fr - Février 2009

 

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