AFP : "La mesure de la dérive" : comment échapper au passé ?

"Où trouver la force de survivre quand un horrible passé vous hante ?", s’interroge Alexander Maksik dans un roman où l’écrivain américain se glisse dans la peau d’une réfugiée du Liberia qui continue d’avancer malgré tout, après avoir vécu l’enfer.
C’est en côtoyant des immigrés quand il habitait à Paris que ce Californien de 41 ans, qui vit aujourd’hui à New York, a eu l’idée d’un roman sur l’exil de ces Africains qui recommencent tout à zéro dans un pays inconnu.

 

"J’étais professeur de littérature à l’Ecole américaine de Paris et je devais aller régulièrement à la préfecture renouveler mon visa", raconte à l’AFP Alexander Maksik, de passage à Paris pour la sortie de son deuxième roman, "La mesure de la dérive" ("A Marker to Measure Drift"), qui paraît chez Belfond. Son premier roman, "Indigne" (Rivages) est sorti en 2013 en France.
"En tant qu’Américain, cela allait très vite. Mais je voyais les interminables files d’attente, les tracas que subissaient les immigrés d’Afrique ou d’ailleurs. Je suis allé à leur rencontre dans le nord de Paris et j’ai beaucoup parlé avec eux. Moi, j’habitais rue Mazarine, un coin riche et blanc !", explique en français Alexander Maksik, allure juvénile et tempes argentées, qui a vécu sept ans en France.
Ce roman bouleversant de sensualité, de rage et d’émotion, brosse le portrait d’une jeune réfugiée libérienne qui a fui son pays ravagé par la guerre civile. Seule, hantée par la voix de sa mère, son double et sa conscience, elle cherche en elle la force de survivre, accrochée coûte que coûte à la vie et à sa dignité.
Pourquoi avoir choisi le Liberia et une héroïne féminine ? "Mon personnage était d’abord un Sénégalais, inspiré par un immigré rencontré dans un parc, en Italie, où j’allais rendre visite à ma copine française étudiante. C’était le seul Noir de cette petite ville et j’imaginais son histoire", se souvient l’auteur.

"Terrifiant" Liberia
Cependant, "je ne parvenais pas à trouver le ton juste en anglais pour exprimer les sentiments d’un immigré parlant français. Alors, j’ai recherché un pays anglophone et choisi le Liberia, la seule colonie américaine en Afrique, fondé par d’anciens esclaves. Et c’est une voix féminine qui s’est imposée".
On retrouve Jacqueline, son héroïne, à Santorin, île grecque aux plages de sable noir où elle débarque après un pénible périple en Europe. Chaque jour, elle lutte pour trouver un refuge, une grotte, une maison abandonnée, de quoi manger. Evite la police et cherche à passer inaperçue parmi les touristes. Surtout, elle tente d’exorciser le passé. Peu à peu, l’auteur nous dévoile les horreurs traversées par Jacqueline, les images enfouies de son ancienne vie, et l’importance vitale de la relation aux autres, en dépit de la peur et de la colère.

Empathie et émotion saisissent le lecteur face à cette jeune femme cultivée, torturée et fière, luttant contre la folie qui la guette après avoir connu la barbarie. Le pire, peut-être, étant que sa famille se trouvait du côté du président Charles Taylor, condamné pour crimes contre l’humanité.

"J’ai beaucoup lu sur le Liberia, vu et revu un documentaire, +Liberia, an Uncivil War+, le film le plus terrifiant qui puisse exister... Je ne prétends pas être un expert de l’Afrique, où je ne suis jamais allé, mais je voulais, en racontant l’histoire de Jacqueline, être le plus vrai possible, au plus près de ses émotions", souligne Alexander Maksik.

Quant au titre énigmatique du roman, il se réfère à un souvenir de l’enfance californienne de l’auteur. "Quand je nageais, je me servais de la glacière rouge que mes parents apportaient à la plage, pour me repérer et éviter de dériver. Mon héroïne tente elle aussi de trouver à quoi se raccrocher. Et c’est à la vie".


Voir aussi :

La mesure de la dérive par Alexander MAKSIK

 

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