Agora Vox : La survie du "sans papiers"

Des militants réclament la régularisation de tous les sans papiers alors que d’autres exigent leur expulsion.
C’est de l’avenir et de l’existence même de personnes de chair et de sang dont il s’agit.
Ce sont des femmes , des hommes et des enfants qui ont leur vie, ici, en France.
Certains passent d’un squat à l’autre et beaucoup sont à la merci d’exploiteurs sans pitié et de marchands de sommeil.
L’un d’entre eux témoigne et se raconte dans un livre poignant et passionnant.
J’invite toutes celles et tous ceux qui ont une position tranchée à découvrir cette œuvre, source de réflexions.

par Jean-François Chalot

« Moi, Mohamed, esclave moderne »

livre de Mohamed Kemigue

avec Djénane Kareh Tager

La vie quotidienne d’un sans papier

éditions Plon

janvier 2012

Autopsie sociale d’une société clandestine mais tellement humaine !

L’originalité et l’intérêt de ce livre-témoignage, c’est de nous faire découvrir un milieu peu connu, magnifié par certains et vilipendé par d’autres : celui des sans papiers...

Le « héros » vient de Côte d’Ivoire.

Comme d’autres il est venu en France, lui, pour répondre à la demande de sa mère. Il ignorait qu’il allait vivre ou plutôt survivre de très nombreuses années dans l’angoisse des lendemains et dans une complète précarité.

Il est en situation illégale comme des dizaines de milliers de personnes avec la peur au ventre- il peut être expulsé à tout moment- et la faim qui le tenaille.

Se prétendre « un esclave moderne » procède de l’exagération !?

L’esclave traditionnel vivait dans la sécurité alimentaire, le moderne « trime le ventre vide » :

« Le premier était battu s’il se rebellait, le deuxième crèvera comme un chien s’il refuse ce qui pourrait être son gagne-pain, mais qui ne l’est pas toujours. Il est obligé de jouer à la partie de poker menteur qui lui est imposée. Obligé, parce n’a pas le choix. »

L’auteur n’est pas dans le registre du complexe post colonial de l’européen mais dans le « dire vrai » : ceux et celles qui emploient et sur-exploitent les sans papiers sont assez souvent des africains qui eux sont nés en France ou régularisés depuis longtemps.

Le clandestin prend n’importe quel travail et s’il se plaint parce qu’il reçoit peu, « l’employeur » lui rappelle que sans papiers, il ne dispose d’aucune existence légale.

Prends si je te donne et de toutes façons, tais toi !

Le lecteur découvre les réseaux mafieux, parfois tolérés par les autorités françaises mais aussi les réseaux de solidarité et l’organisation sociale solidaire qui existe dans les squats.

Comme l’explique bien l’auteur, un pays a droit de réguler ses frontières, mais il n’a pas le droit de jouer avec des existences. Mohamed comme beaucoup d’autres immigrés « clandestins » a fait sa vie ici en France. Il a une compagne et des enfants. Ceux-ci sont aujourd’hui à l’école primaire et leur pays, c’est la France et pas la Côte d’Ivoire.

Combien sont-ils ces êtres transparents que l’on rencontre dans la rue ?

L’économie a besoin d’eux et comme le dit Mohamed avec une pointe d’ironie, s’ils n’étaient pas là, eux les « sans papiers », « Ils seraient bien démunis pour construire leurs campagnes électorales ! Alors on nous expulse, pour prouver aux électeurs qu’on a bien travaillé. Mais on ne nous expulse pas trop.... »

 

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