Arrestations en Préfecture : arrêté de la Cour de Cassation

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du 25 juin 2008
N° de pourvoi : 07-14985
Publié au bulletin
Rejet
M. Bargue (président), président
Me Odent, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon l’ordonnance attaquée (Caen, 16 mars 2007), rendue par le premier président d’une cour d’appel et les pièces de la procédure, que Mme X..., ressortissante nigériane, qui avait déposé auprès de la préfecture du Calvados une demande d’asile, le 8 février 2007, s’est rendue dans les locaux de la préfecture le 13 mars 2007, conformément à la convocation qui lui avait été remise, qu’elle a été interpellée par les services de police, avisés par le responsable du service des étrangers ; qu’elle a ensuite été placée en garde à vue ; que, le 14 mars 2007, le préfet du Calvados a pris à son encontre un arrêté de remise aux autorités espagnoles, auprès desquelles elle avait déposé une précédente demande d’asile, et une décision de placement en rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire ;

Attendu que le préfet du Calvados fait grief à l’ordonnance d’avoir rejeté sa requête en prolongation de la rétention administrative dont Mme X... avait fait l’objet, après avoir été interpellée dans les locaux mêmes de la préfecture, alors, selon le moyen, qu’un étranger qui séjourne irrégulièrement sur le territoire national peut être interpellé dans les locaux de la préfecture lorsqu’il y a été convoqué, à sa propre demande, en vue de compléter une demande d’asile ; qu’en l’espèce, le conseiller délégué, qui a estimé que l’interpellation de Mme X... était irrégulière, pour avoir été opérée dans les locaux de la préfecture du Calvados, alors que l’étrangère s’y était rendue afin de compléter une demande d’asile qu’elle avait elle-même présentée et à l’occasion de laquelle elle avait été avisée que ses empreintes seraient prises pour vérifier qu’elle n’avait pas déjà présenté une précédente demande d’asile dans un autre Etat membre de l’Union européenne, a méconnu les prescriptions de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et violé l’article L. 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Mais attendu qu’ayant relevé que l’administration ne pouvait utiliser la convocation à la préfecture de Mme X... pour un examen de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle, pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention, le premier président, tirant les conséquences de ses constatations, en a exactement déduit que la procédure était irrégulière ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur les autres branches du moyen, ci-après annexé :
Attendu que les griefs ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq juin deux mille huit.

Décision attaquée : Cour d’appel de Caen du 16 mars 2007

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*lundi 08 septembre 2008*

*L’interpellation des étrangers en préfecture sous étroite surveillance !* A regarder l’objectif prioritaire de la lutte contre l’immigration clandestine, éloigner effectivement 25000 irréguliers du sol français par an, l’on n’est pas surpris que l’administration exploite tous les moyens mis à sa disposition pour y parvenir, même les moins avouables. Mais tout n’est pas possible ! C’est ce que vient de rappeler avec force la 1ère chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt <http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/fi...> du 25 juin rendu à propos des interpellations en préfecture des étrangers en situation irrégulière.

La préfecture est le lieu incontournable pour tout étranger désireux de résider en France car, comme on le sait, le préfet, en pratique l’agent préfectoral qui a reçu délégation, est l’autorité qui, généralement, décide du séjour des non nationaux en France. Aussi, lorsque l’étranger « sans-papier » s’adresse à lui, c’est dans l’espoir de se voir délivrer un précieux sésame (titre de séjour temporaire ou plus si affinités) lui ouvrant (ou lui permettant de retrouver) les portes de la résidence légale en France, soit qu’il aura constitué un dossier démontrant qu’il entre dans les catégories qui sont en droit d’obtenir un titre leur conférant le droit de séjourner (le cas échéant, en vue de mener à bien une procédure particulière, comme en matière d’asile), soit, de manière beaucoup plus aléatoire et illusoire, qu’il escompte que la présentation des circonstances de la vie personnelle, familiale, professionnelle, etc., qu’il mène en France, aboutira à une régularisation administrative de sa situation.
Le bon déroulement de ces procédures passe par une formalité aussi constante que requise, à savoir que l’étranger se présente en personne aux guichets de la préfecture après y avoir été convoqué sur initiative de l’administration ou sur demande de l’intéressé (ce qui ne change rien à l’affaire). On aura vite compris que la préfecture figure donc aussi le lieu où il est possible de s’assurer de la personne de l’étranger dont la présence en France est irrégulière et de mettre ainsi en branle à son encontre le dispositif d’éloignement le plus idoine (garde à vue, rétention administrative, éloignement forcé).

Simple et efficace, mais pernicieux et déloyal car la procédure peut ne constituer en fait qu’un « coup monté » destiné à appréhender un étranger que l’on sait en situation irrégulière en lui faisant croire que la convocation dont il est destinataire a pour – seul – objet qu’il soit procédé à l’examen de sa situation administrative. Sans compter que le stratagème entache pour le moins la vision, que l’on est en droit d’exiger, d’une administration « loyale » dont la légitimité de l’action provient de la confiance des administrés qu’elle inspire. Le risque – évident – de tromperie a conduit le Conseil d’État (7 févr. 2007 <http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/fi...> , AJDA 2007. 814. note Lecucq) et la Cour de cassation (Civ. 1re, 6 févr. 2007 <http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/fi...> , /ibid/), saisis en même temps de la question, à juger, dans des termes certes différents mais qui semblaient aller à peu près dans le même sens, que, si l’interpellation d’un étranger en préfecture n’était dans le principe pas illégale, c’était à la double condition, conformément à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et à la jurisprudence européenne afférente (Conka c. Belgique, 5 févr. 2002 <http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/fi...> ), que la convocation de l’étranger ne soit ni « piégeuse » (c’est-à-dire qu’elle n’ait pas pour finalité première l’interpellation de l’étranger, pas plus qu’elle puisse lui laisser croire qu’il sera à l’abri d’un processus d’éloignement forcé déclenché à l’occasion de sa présentation en préfecture), ni « artificielle » (ce qui suppose que l’examen de la situation de l’étranger pour lequel il est convoqué soit réellement réalisé et que des éléments tangibles soient en mesure de le prouver).

Avec l’arrêt du 25 juin dernier, il faut croire que la première chambre civile de la Cour de cassation a estimé que le premier avertissement donné n’avait pas été suffisamment clair et a réécrit l’attendu aux termes duquel : « l’administration ne (peut) utiliser la convocation à la préfecture (d’un étranger) pour un examen de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle, pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention ». Est-ce à dire qu’en procédant ainsi, la première chambre civile de la Cour a voulu signifier qu’elle condamnait le principe même de l’interpellation en préfecture et, qu’en conséquence, elle se démarquait très franchement du juge du Palais Royal ? A la vérité, s’il n’est pas certain que la condamnation de principe soit définitivement retenue puisque la deuxième chambre civile avait en son temps admis sous conditions le procédé de l’interpellation sur place (Civ. 2e, 12 nov. 1997 <http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/fi...> ) et que, tant que la formation la plus solennelle de la Cour ne sera pas intervenue, le doute sera permis, on peut en revanche assez clairement estimer que la Cour de cassation se veut beaucoup plus exigeante que le Conseil d’État pour admettre la régularité d’une interpellation de ce type. Dans l’affaire précitée, le Conseil d’État avait admis la légalité de la circulaire <http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/fi...> , ayant notamment pour objet, comme l’indiquait son intitulé même, d’encadrer la possibilité d’interpeller un étranger en situation irrégulière à la suite de sa convocation par les services préfectoraux, aux motifs que ce texte rappelait que « la convocation ne (devait) pas être rédigée en termes trompeurs », et « qu’à cette fin elle défini(ssait) des modèles de convocation dont la "sobriété" (était) destinée (…) à proscrire toute indication mensongère sur l’objet réel de cette mesure, sans pour autant donner d’indice révélant le risque d’une mesure de rétention et de reconduite forcée ».

Avec ce don de « ménager la chèvre et le chou », on peut parier que, dans l’espèce présentement rapportée, le juge administratif n’aurait pas été trop affecté par l’interpellation de l’étrangère et la mise en branle à son encontre de la procédure d’éloignement forcé (garde à vue, rétention), et cela pour au moins deux raisons. D’une part, l’action coercitive procède du constat que l’intéressée avait déjà déposé une demande d’asile dans un autre État membre de l’Union, ce qui a pour effet d’exonérer l’État français d’y déférer à nouveau et, par conséquent, d’établir définitivement le caractère illégal de sa présence en France. D’autre part, et de surcroît, la convocation avait avisé l’intéressée que ses empreintes seraient prises pour vérifier qu’elle n’avait pas déjà présenté une précédente demande, ce qui, on peut le penser, devrait constituer aux yeux du juge administratif un gage de loyalisme. La Cour de cassation ne l’a absolument pas entendu ainsi et l’on peut croire que son exigence est telle qu’elle compromet assez largement tout recours à l’interpellation en préfecture d’un étranger s’y rendant aux fins d’examen de sa situation.

La Haute juridiction judiciaire n’aime donc pas le mélange des genres, en l’occurrence le déclenchement d’un éloignement forcé à l’encontre d’un étranger qui se trouve en préfecture après y avoir été convoqué pour l’examen ou le traitement de son dossier, et nous conforte ainsi dans l’idée que le juge des libertés et de la détention intervenant au cours de la procédure administrative constitue un précieux garde-fou permettant de se prémunir contre les pratiques jugées déloyales de l’administration dans son entreprise de lutte contre l’immigration clandestine.

*Olivier Lecucq**
*Professeur de droit public à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour


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