Combats pour les droits de l’homme / Suspension du marché de la rétention : une leçon de crédibilité juridique au ministre de l’Immigration

Le greffe du TA de Paris vient de faxer aux parties l’ordonnance de suspension de l’exécution des contrats signés par le ministre de l’Immigration le Dimanche 10 mai dans le cadre du marché de la rétention.

La suspension prononcée par ordonnance du 30 mai 2009 est valable jusqu’à la décision qui sera rendue fond par la formation collégiale qui aura l’occasion de se prononcer sur la requête en annulation.

Voici l’ordonnance tant attendue.

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Il s’agit d’une ordonnance exceptionnellement longue - 28 pages, dont 9 pour les motifs et 2 pour le dispositif - qui resemble bien davantage à une décision au fond qu’à une ordonnance de suspension.

En même temps elle a été rendue à la suite d’une première procédure de référé précontractuel qui avait déjà donné lieu à 2 audiences, dont l’une de 3h30. Mais cette procédure avait été interrompue prématurément par le stylo magique du ministre (qui heureusement n’efface que très provisoirement la bonne marche de la justice et donc doit curieusement ne contenir qu’une encre sympathique). Elle a abouti à une ordonnance de non-lieu de 20 pages.

Le ministre s’en mord-t-il ajourd’hui les doigts comme le suggère cette bande vidéo enregistrée subrepticement à son insu dans son cabinet cette après-midi au moment où il a découvert l’ordonnance ?

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L’audience du 28 mai sur le référé suspension a elle-même duré 3h30. Cela n’a pas empêché l’avocat du ministre qui, à l’audience avait avoué sentir être “au bord de la suspension”, de produire une note en délibéré avec de nouvelles pièces (on imagine les offres puisqu’il voulait démontrer que les candidats se sont tous engagés à rédiger des recours - ce qui s’avère faux puisque ce n’était pas le cas du collectif Respect et de Forum réfugiés).

Quelques remarques sur l’ordonnance (à partir du résumé de Me Nahmias) :

  • En premier lieu, et afin d’éviter à avoir à statuer sur la recevabilité de la requête du GISTI-ADDE-ELENA comme “concurrents évincés” au sens de l’arrêt “Tropic” alors que ces associations n’avaient pas candidaté au marché, la présidente s’est d’abord prononcée sur celle de la CIMADE pour constater ensuite un fois les contrats suspendus que la requête des associations, pourtant introduite en premier, devenait sans objet.

    Si on peut comprendre la difficulté de se prononcer sur la recevabilité de personnes morales n’ayant pas candidaté au marché, il curieux - alors que les requêtes ont été jointes (p.19) - de constater dans la même instance juridictionnelle un non-lieu à statuer (bas page 25).

    La magistrate a sûrement craint un risque de cassation dans le cas où elle aurait admis l’intérêt à agir des 3 associations requérantes.

    Cela prive néanmoins les associations de la possibilité d’obtenir des frais irrépétibles et, contrairement à l’usage, la requête ne porte pas le nom du premier requérant - l’ADDE - mais de la CIMADE.

    Dans 30 ans, au prochain colloque sur les 60 ans des arrêts Gisti, il y aura lieu de se demander s’il s’agit, à proprement parler, d’un arrêt “Gisti” :)

  • En deuxième lieu

    sur l’urgence, l’ordonnance retient, comme nous l’avions suggéré dans notre compte rendu d’audience,

    l’intérêt public qui s’attache à ce que soit assuré l’exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans les centres de rétention, droit reconnu par le législateur”.

    Mais, dans le cadre de la mise en balance des intérêts, pour écarter l’argument du ministère et du collectif Respect selon lequel il y aurait urgence à ne pas suspendre puisque les prestations débutent le 2 juin, le juge des référés indique incidemment qu’aucun intérêt public ne vient contrarier l’urgence établie dès lors qu’il n’y a pas de risque d’interruption dans la continuité du service car le ministre a « 

    la faculté de conclure avec la CIMADE, actuel titulaire des marchés portant sur l’assistance aux étrangers maintenus dans les centres de rétention, un avenant prolongeant l’exécution de ce marché

     ».

La Cimade avait demandé en fin d’audience qu’une injonction soit prononcée pour ordonner au ministère de prolonger temporairement l’avenant conclu à la suite de la première annulation le 30 octobre 2008.

Et donc, la magistrate a tracé la voie à suivre par le ministère suite à sa suspension et jusqu’à l’intervention de la décision au fond.

Néanmoins, entre temps, le ministère pourra se pourvoir en cassation et demander le sursis à exécution de l’ordonnance de suspension en invoquant un moyen sérieux de cassation.

Il pourrait bien aussi, comme nous l’avons écrit dans un commentaire précédent, conclure une convention de gré à gré avec chaque prestataire retenu - mais quid du collectif Respect dans l’incapacité technique et professionnelle et l’irrégularité de sa candidature ont été constatées ?

On peut aussi imaginer qu’il passe ensuite un marché en procédure simplifiée en attendant un nouvel appel d’offres - le troisième - conforme aux prescriptions du juge des référés, du CESEDA et du CMP.

Dernière possibilité - la politique du pire - il pourrait profiter de la transposition de la directive “retour” pour abaisser le niveau d’exigence du CESEDA dans l’accès effectif des étrangers retenus à leurs droits et balayer de la sorte la difficulté.

 

  • En troisième lieu sur le doute sérieux, le juge des référés a considéré que les prestations objet du marché, dès lors qu’elles ne comportent que des actions d’information, de mise à disposition de documentation et de tenue de permanences, à l’exclusion de prestations d’assistance juridique en vue de la rédaction d’une requête ne permettent pas d’atteindre, dans son intégralité, l’objectif fixé par le législateur à l’article L. 553-6 du CESEDA, à savoir mettre les étrangers retenus à même d’assurer l’exercice effectif de leurs droits.
    • Il paraît intéressant de citer in extenso le considérant de principe (bas page 22) :

      “Considérant que pour assurer l’exercice de ce droit, le caractère “effectif” voulu par le législateur, l’action de soutien prévue ne peut s’entendre que comme comportant une assistance juridique, concrète et immédiate, à l’étranger retenu, de façon à lui permettre, notamment, de former, dans un délai très bref, un recours contentieux contre la mesure d’éloignement devant le tribunal administratif ; qu’elle impose, par suite, qu’un intervenant possédant les connaissances juridiques nécessaires, soit à même d’assister l’étranger qui le souhaite, dès son arrivée dans le centre de rétention, en vue de la rédaction de sa requête ; que la seule diffusion d’informations et la mise à disposition de documentation à l’étranger retenu, qui maîtrise souvent mal la langue française et n’a pas de compétences juridiques, ne peuvent être regardées comme assurant à l’étranger retenu l’assistance juridique ainsi définie”.

    • C’est exactement ce qu’ont toujours considéré les associations qui depuis le début soutiennent la Cimade ou ont participé à la première procédure initiée par le Gisti. Il est frappant de relire les communiqués de presse des mois de septembre-octobre 2008 sur ce point. Cela démontre l’autisme du ministère de l’Immigration, aussi bien du temps de Brice Hortefeux qu’actuellement avec Eric Besson, sur ces questions d’accès effectif des étrangers à leurs droits alors que les associations ont 30 ans d’expérience derrière eux dans ce domaine.

Au passage, le juge a relevé quà la lecture du rapport d’analyse, contrairement à ce que soutenaient le ministre et ce associations à la barre, deux des offres n’incluaient pas les prestations d’assistance à la rédaction des recours (celle de Forum réfugiés se contentait de “mettre en lien les usagers [sic] avec des avocats” et le Collectif Respect ne proposait “aucune aide concrète“).

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  • En dernier lieu, on ne va pas bouder son plaisir, la magistrate a jugé que le Collectif Respect “ne justifiait manifestement pas” pas de garanties techniques, financières et professionnelles suffisantes en violation des articles 45-I et 52 du CMP pour assurer l’exécution de ce marché, malgré ses deux expériences (piteuses) dans l’aide au retour notamment l’une, comme nous l’avions indiqué sur ce blog, à la demande du comité interministériel de contrôle de l’immigration dont M. Stéfanini était le secrétaire général (le ministère va-t-il continuer à affirmer “ne pas connaître” cette association ?). L’association n’a jamais employé aucun salarié depuis sa création et ses moyens financiers sont “extrêmement limités“.

Sa candidature a donc été irrégulièrement admise et cela affecte la régularité du choix de l’offre dans la mesure où le collectif a été retenu pour le lot n°5 sur l’Outre-mer.
La candidature de cet OANI (objet associatif non identifié) est donc définitivement écartée dans le cadre d’un futur nouvel appel d’offres à défaut de capacité suffisante. Espérons qu’on l’oubliera aussi vite qu’elle est apparue surla scène médiatique le 22 octobre 2008.

Les défenseurs des étrangers outre-mer ne pourront que s’en réjouir. Le ministère, et sa politique du chiffre, peut être moins.


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Au bilan, comme nous l’expliquions ici dès le 10 mai et comme l’a aussi écrit le professeur Cassia sur son blog la signature de ces contrats sans attendre l’ordonnance de référé précontractuel - qui devait être rendue 3 jours après- loin de renforcer la sécurité juridique des co-contractants de l’administration les a placés dans une situation encore plus difficile.

Le ministre s’est donc livré non seulement un déni de droit et un pied de nez à la justice (la magistrate avait dit le 6 mai que le “ministre s’honnorerait de ne pas signer” avant sa décision) mais aussi à une très mauvaise appréciation de la situation juridique et à une politique de (très) courte vue.

Ce ministère manque décidément de crédibilité juridique. Et dans un Etat de droit c’est inquiétant. Il a signé alors même que son avocat, Me Cabanes, spécialiste reconnu des marchés publics, lui avait conseillé de ne pas le faire (Eric Besson l’a reconnu dans son entretien audio au Monde le 11 mai).

Mais si le mépris des droits de l’homme est la cause des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, le résultat de cette procédure montre que les combats juridiques pour les droits de l’homme paient parfois. Enfin espérons-le.

Un grand bravo et merci à tous les intervenants dans la procédure en particulier les avocats de la Cimade du cabinet Landot-Coudray Me Arvis et Komly-Nallier et ceux d’AdDEN, Me Nahmias et Givord et surtout à Me François Gilbert pour ce magnifique “arrêt Cimade-ADDE-ELENA-GISTI”.

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COMMUNIQUE CIMADE 30 mai 2009

Rétention administrative : Eric Besson doit ouvrir d’urgence une concertation avec les associations de défense des droits des étrangers

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a décidé de faire droit à la requête de La Cimade en suspendant les contrats conclus, dans la précipitation, le 10 mai, par le ministre de l’Immigration.

La Cimade prend acte avec satisfaction de cette décision de justice.

La Cimade demande au ministère de l’Immigration d’ouvrir de toute urgence une concertation avec les associations de défense des droits des étrangers, afin de dégager une solution permettant de garantir et de maintenir une réelle assistance juridique aux étrangers placés dans les centres de rétention administrative.

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