Paris-Match / Marie Desplechin boxe dans une autre catégorie

« Danbé », d’Aya Cissoko et Marie Desplechin


La romancière a prêté sa plume à Aya Cissoko. Un hommage à cette fille d’immigrés maliens qui, championne des rings, a su vaincre tous les obstacles.
« Danbé », d’Aya Cissoko et Marie Desplechin, éd. Calmann-Lévy, 182 pages, 15 euros
 

interview Valérie Trierweiler - Paris Match

C’est certain, l’histoire d’Aya ­Cissoko n’est pas banale. Elle est la personnification de ces faits divers que l’on entend trop souvent à la radio. « Décès de deux personnes d’origine malienne au cours d’un ­incendie dans un foyer de Montreuil. » En 1986, ces deux personnes-là n’étaient autres que le père et la petite sœur d’Aya. Quelque temps plus tard, c’est au tour de son petit frère de ­mourir d’une méningite, alors que sa mère, en dialyse trois fois par semaine, se bat contre la maladie. Aya fait face, travaille bien à l’école et se paie même le luxe de devenir championne de boxe. Aujourd’hui, après un accident sur le ring, elle est à Sciences po.

Paris Match. Que signifie le mot “Danbé”, le titre du livre ?
Marie Desplechin. C’est la ­dignité en malinké ou en bambara. Le mot qu’utilise la mère d’Aya pour donner une espèce de corset moral et de comportement à ses enfants. Cela vaut pour la vie de tous les jours, mais c’est aussi un garde-fou pour surmonter la mort des proches. Une vertu ­cardinale qui permet de tenir dans les situations extrêmes et douloureuses comme cela a été le cas pour Aya.

Est-ce facile d’écrire à la première personne l’histoire d’une autre ?
Ce n’est pas facile, non, pour plusieurs raisons. Il faut être juste, comprendre l’autre sans tomber dans l’empathie. Il faut savoir tenir l’histoire dans les bons mots. L’écriture est une forme d’art, un artifice qui repose sur des outils. Il faut respecter ce que dégage la personne dans son être. Il y a des gens à adjectifs et des gens sans ! Ensuite, il y a ce qu’on se permet d’écrire. On est embarquées dans cette histoire ensemble mais il y a un certain culot à se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre, non ?

Mais n’y a-t-il pas un risque de transfert ou d’appropriation de l’autre ?
Si, bien sûr. Au début, je n’y arrivais pas du tout, ça n’allait pas. Je ne parvenais pas à trouver la bonne distance. J’ai laissé tomber pendant plusieurs mois. Et puis Aya parlait peu. J’ai donc effectué des recherches de mon côté sur son histoire, sur l’incendie dans ­lequel son père et sa petite sœur meurent. Il me fallait retrouver la fluidité du temps, car le récit n’avait de sens que s’il restait chronologique.

Sur quoi l’histoire d’Aya vous a-t-elle fait réfléchir ? La couleur de peau, par exemple ?
Non, car j’y avais déjà réfléchi. J’avais remarqué que, lorsqu’on est une femme, on est obligée d’exister deux fois. Quand on est noir, c’est la même chose. Ce sont des questions existentielles très importantes. Regardez : les mouvements d’émancipation ont d’abord concerné les femmes et les Noirs, ce n’est pas un hasard. Ce qui m’a impressionnée, c’est le personnage de la mère. Elle ne sait pas lire, elle est seule, elle est en dialyse mais elle prend son destin en main. J’ai compris que les généralités ne voulaient vraiment rien dire, qu’il n’y a que des sommes d’histoires individuelles. J’entendais, en même temps que j’écrivais, des clichés sur les familles du Sahel et, là, on en était très loin. La mère d’Aya a su ne pas être écrasée par le poids de sa famille, qui peut être très prégnant. Mais je n’ai pas tout écrit, il y a des choses qu’il valait mieux taire. Je ne voulais pas créer de conflits.

Aya a t-elle souffert du racisme ?
Il y a des choses très ordinaires dont nous, nous ne pouvons pas nous rendre compte. Elle note que, enfant, elle n’était pas invitée par certaines personnes. Pour autant, elle n’a aucun ressentiment. Cela fait certainement partie des heurts de son existence, mais elle n’est pas dans un rapport d’opposition entre Noirs et Blancs.

“Danbé” est-il un livre engagé ?
Quand je l’écrivais, je me disais : “Tant mieux, je suis contente, ce livre tombe bien, au moment où l’on parle de la stigmatisation de ces familles, de ces quartiers.” Cette modélisation, cette généralisation nous enferment tous. C’est une sorte de prison. Une histoire sert à faire exploser les clichés. Les gens ont besoin de héros ; alors, s’ils changent de regard après ce livre, j’aurai réussi quelque chose. Si on arrête de penser que les étrangers sont responsables de tout, on aura avancé. Il est temps que nous apprenions tous à faire monde ensemble. Point final


Voir à ce sujet :

http://milleetunepages.canalblog.com/archives/2011/03/05/20549315.html

http://www.marieclaire.fr/,histoires-de-femmes-danbe-d-aya-cissoko-et-marie-desplechin,20158,387047.asp

http://delivrer-des-livres.fr/danbe-daya-cissoko-et-marie-desplechin/

http://www.decitre.fr/livres/Danbe.aspx/9782702141755

 

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