Par Julia Pascual
Lorsque Papa Mor Sylla a découvert que sa femme avait reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF), en décembre 2021, il est tombé de haut. Cet homme de 55 ans, de nationalité portugaise, habite en France depuis dix ans, il est employé d’un loueur de voitures à l’aéroport Roissy - Charles-de-Gaulle. Sa femme, sénégalaise, l’a rejoint en 2015, avec une carte de séjour de cinq ans de membre de la famille d’un citoyen européen.
Le couple, parent de cinq enfants, croyait que le renouvellement du titre serait une simple formalité. Jusqu’à ce que la préfecture de Seine-Saint-Denis délivre à la mère de famille une OQTF. On rencontre Papa Mor Sylla dans une permanence de l’association Réseau éducation sans frontières (RESF), à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui suit son recours devant le tribunal administratif. « Ma femme est sur le point de craquer, confie-t-il. Elle ne peut pas travailler. C’est très compliqué en ce moment. »
La bénévole qui l’épaule, Malika Chemmah, dénonce une « restriction de l’accès au séjour » dans le département. « Je fais tout pour être honnête, je n’ai jamais fait de bêtise », jure à son tour Chaka Traore, un Ivoirien de 19 ans, élève en CAP plomberie, dont la demande de régularisation a essuyé un refus assorti d’une OQTF, en décembre 2022. La préfecture conteste notamment le passage en Libye de Chaka, où il dit avoir subi torture et esclavage, ainsi que son insertion professionnelle, et considère que le jeune homme peut retourner auprès de sa famille en Côte d’Ivoire.
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« C’est toujours les mêmes phrases stéréotypées, raille Myriam, une bénévole de RESF qui souhaite conserver l’anonymat. On voit passer beaucoup de refus de titres délivrés à des jeunes majeurs scolarisés alors qu’avant ceux qu’on accompagnait étaient régularisés. »
« Fabrique de sans-papiers »
La préfecture a aussi délivré une OQTF à Mohamed Donzo, estimant que ce Libérien n’avait pas de liens familiaux ou de perspective professionnelle suffisants en France, alors qu’il est apprenti mécanicien et vit chez son père, en France, depuis treize ans. Ouahiba M’Barki, d’origine marocaine, est, elle, élève en terminale. Elle est venue avec sa professeure de philosophie consulter RESF après un refus de titre de séjour. « Elle a 14,5 de moyenne, et les félicitations au premier trimestre, on ne s’y attendait pas du tout », confie son enseignante, Julie Morisset, qui « hésite de plus en plus » avant de conseiller à ses élèves sans papiers de demander un titre de séjour.
Plusieurs organisations du département, réunies au sein du collectif Bouge ta préfecture, ont appelé à un rassemblement le 1er février devant les services de l’Etat à Bobigny, pour dénoncer une « fabrique de sans-papiers », due aux refus de titres, à l’absence de rendez-vous en nombre suffisant et dans des délais raisonnables ou encore d’un accueil physique à l’heure du tout-numérique. « Autant sur des sujets comme l’aide alimentaire on peut travailler avec la préfecture, autant sur les dysfonctionnements de l’accueil des étrangers, il y a un blocage, regrette Gabriel Amieux, du Secours catholique. Les services ne veulent pas favoriser l’installation des personnes. » Déjà, en décembre, l’ensemble des organisations syndicales du département s’étaient fendues d’un communiqué pour dénoncer les refus de titres essuyés par quatre femmes, toutes travailleuses sans papiers, dans le nettoyage notamment.
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