Esther Benbassa au centre de rétention du Mesnil-Amelot : « On m’a parlé de puces de lit et même de gale »

 
 
Par Kim Hullot-Guiot 29 janvier 2019 à 15:31
 

La sénatrice écologiste de Paris a rendu lundi une visite surprise au centre de Seine-et-Marne, en région parisienne, où une grève de la faim avait été lancée début janvier par des personnes qui y sont retenues.

Au début de l’année, plusieurs dizaines de personnes enfermées
dans les centres de rétention (CRA) du Mesnil-Amelot et de
Vincennes, en région parisienne, de Oissel, en Normandie, et de
Sète, dans l’Hérault, ont entamé une grève de la faim. Ils dénonçaient notamment les conditions de vie dans ces locaux où ils attendent d’être expulsés, ou libérés. La sénatrice EE-LV de Paris Esther Benbassa (photo AFP) s’est rendue, lundi, au centre du Mesnil-Amelot. En tant que parlementaire, elle dispose d’un droit d’accès à ce type de lieu. Elle raconte sa visite à Libération.


Comment s’est déroulé votre déplacement ?

On a été très mal accueillis, j’ai été très étonnée. On nous
a fait pas mal attendre. Nous n’avions pas averti de notre
visite, j’ai donc appelé le cabinet du préfet une fois sur
place… Je crois qu’ils en ont profité pour passer un coup de
balai ! En revanche, le personnel de la Cimade, qui intervient
pour conseiller les retenus dans le centre, a été coopératif. On
a su que la grève de la faim qui avait commencé au début du mois
de janvier avait été assez suivie, mais elle est apparemment
terminée.

Je me suis rendue dans deux bâtiments du Mesnil-Amelot, d’abord
au CRA numéro 2, ouvert depuis août 2011 et où un quart des
retenus sont des femmes, et qui peut accueillir des familles,
ainsi qu’au CRA numéro 3, ouvert lui depuis septembre 2011. Ils
ont chacun 120 chambres, avec deux lits. En 2017, le nombre
d’enfants qui y ont été accueillis, dont certains avaient à
peine deux mois, a été multiplié par sept par rapport à 2013 [c’est
aussi ce qu’avait constaté la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ainsi que la Cimade, qui avait dressé l’année précédente un constat similaire, ndlr].

D’ailleurs, la France a déjà été condamnée par la Cour
européenne des droits de l’homme pour ses rétentions
abusives… J’ai aussi constaté un vrai manque d’empathie, un
automatisme, une rudesse dans la manière de s’adresser aux
retenus.


Dans quel état étaient les locaux ?

Il faisait froid dans les chambres. L’une de mes constations
était que l’état de saleté était particulièrement avancé. A un
moment, j’ai entendu quelqu’un crier : « Ça suffit, les
toilettes ne marchent pas ! »
Il y avait effectivement une
odeur d’urine. Les gens se plaignaient que la lumière ne
fonctionnait pas, qu’il n’y avait pas toujours d’eau dans les
toilettes… Ils m’ont aussi parlé de puces de lit et même de
gale.


Quels autres faits vous ont rapporté les personnes retenues ?

Elles disent qu’être ici, dans le CRA du Mesnil-Amelot, est un
cauchemar. C’est leur propre mot. Elles préféreraient être
expulsées pour que ça se termine. Il y a une vraie colère, les
gens voulaient me parler, me dire que ce n’était pas possible de
vivre ainsi. Ça m’a vraiment frappée. Elles n’ont absolument
aucune occupation, ils tournent en rond toute la journée. On m’a
aussi rapporté des expulsions dans des conditions assez
violentes.

Elles disent manger très mal, que les portions ne sont pas
suffisantes. Le distributeur est cassé, les régimes spécifiques
ne sont pas respectés… Ne serait-ce que mettre du poisson à la
place de la viande pour ceux qui mangent hallal n’est pas fait.
J’ai vu des photos de personnes avant leur entrée au CRA et à
leur sortie, elles étaient amaigries. La plupart portaient aussi
des claquettes, par ce froid !


Vous vous êtes également rendue à l’infirmerie ?

J’ai tout fait pour aller à la partie médicale car on m’avait
rapporté des problèmes. J’y ai été accueillie par des gens très
désagréables qui ne nous ont pas laissé discuter, c’était assez
étonnant. Beaucoup de personnes retenues m’ont expliqué que les
soins étaient très mal gérés. Il y a un notamment un vrai
problème de continuité des soins pour les personnes atteintes du
sida, ou d’hépatites.

On m’a aussi rapporté des mutilations, comme le cas de cet
homme qui avait avalé quatre lames de rasoir. J’ai vu sa radio.
J’ai visité beaucoup de CRA, je n’avais pas vu autant de
mutilations auparavant. C’est quelque chose qui commence à
devenir plus constant, les gens craquent. On m’a aussi parlé de
cas psychiatriques qui, au lieu d’être envoyés à l’hôpital, sont
laissés là. Quand ils sont en crise, on les enferme dans la
chambre d’isolement, que j’ai aussi visitée et qui est dans un
mauvais état. On m’a aussi rapporté des tentatives de suicide.

Le personnel médical est en sous-effectif : les médecins ne
sont là que trois à quatre heures par jour, et il n’y a qu’un
seul psychiatre une demi-journée par semaine ! Ce centre de
rétention, c’est 10 000 passages à l’infirmerie par an, donc
vous imaginez bien que ça pose problème.


En dehors des conditions de vie, qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?

On dit qu’il n’y a plus Afghans en CRA, mais moi j’en ai
rencontré deux, qui étaient là depuis vingt-huit jours. Les
femmes étaient très déprimées. Une autre chose frappante était
la présence de Roms, qui sont pourtant européens. Que
faisaient-ils là ? La France est le pays qui prononce le plus
d’obligations de quitter le territoire (OQTF) et qui enferme le
plus. Mais seulement 40 à 45% des retenus finissent par être
expulsés. Pourquoi laisser les autres vivre dans ces
conditions ? Quelle image va-t-on donner ? Ces gens sont venus
dans notre pays pour des raisons pas toujours réjouissantes, on
pourrait au moins, le temps qu’ils restent dans ces centres,
leur procurer des conditions de vie décentes. Ça m’a intéressé
de voir comment le système d’enfermement peut broyer les
gens. Quel est le but de cet enfermement ? Je n’en comprends pas
le bénéfice. Ça ne va pas faire baisser le nombre d’immigrés.
C’est comme si ces gens gênaient, qu’on les nourrissait un peu,
histoire qu’ils ne meurent pas, mais c’est tout : les droits de
l’homme, notamment à être soignés, ne sont pas respectés

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