"Histoire de la colonisation : réhabilitations, falsifications et instrumentalisations", ouvrage collectif sous la direction de Sébastien Jahan & Alain Ruscio

HISTOIRE DE LA COLONISATION :

REHABILITATIONS, FALSIFICATIONS ET INSTRUMENTALISATIONS

 

Paris, Les Indes Savantes, 2007

 

Sous la direction de Sébastien Jahan & Alain Ruscio

 

Contributions de

 

Sidi Mohammed Barkat, Anissa Bouayed, Michele Brondino, Catherine Coquery-Vidrovitch, Philippe Dumont, Vincent Geisser, Mohammed Harbi, Sébastien Jahan, Gilles Manceron, Gilbert Meynier, Rosa Moussaoui, François Nadiras, Jean-Philippe Ould-Aoudia, Mickaëlla Perina, Delphine Robic-Diaz, Alain Ruscio,

Odile Tobner, Trinh Van Thao, Jan Vandersmissen

 

La France du début du XXI è siècle a la fièvre… post-coloniale. Aussi étonnant que cela puisse paraître – et que cela paraîtra aux historiens de l’avenir – le débat sur « l’œuvre de la France outre-mer » a été réactivé et a de nouveau enflammé les passions. Une loi de février 2005 – heureusement amputée de son aspect le plus choquant par la suite – a prétendu imposer aux historiens, mais aussi au public, une lecture unilatérale de l’histoire coloniale française. Epiphénomène ? Non point, affirment les auteurs de ce livre, historiens, philosophes, politologues, journalistes, responsables associatifs… Il y a bel et bien un retour de l’esprit colonial, illustré par mille et un autres petits et grands faits de la vie politique contemporaine, de la réhabilitation de certains tueurs OAS au discours de Dakar (juillet 2007), de l’insulte contre les harkis (« sous-hommes ») à l’exaltation d’une identité nationale que certains rêvent blanche et chrétienne.  

 

S’ils dénoncent ce retour, les auteurs ne prêchent pourtant en aucun cas la repentance, ce concept né hors de la sphère de la recherche historique. Ils se contentent de rappeler à la décence les laudateurs du système. Ils exigent que les officiels de ce pays abandonnent leur morgue et regardent l’Histoire coloniale en face. Dans la France pluriethnique et pluriculturelle d’aujourd’hui, c’est un enjeu, on en conviendra, qui dépasse largement les débats académiques.   

Sommaire

 

Introduction :

Sébastien Jahan, Alain Ruscio 

Première partie : Histoire, Mémoire(s) : enjeux

Mickaëlla Perina : Travail d’histoire, travail de mémoire : la République à l’épreuve  de son devenir

Sidi Mohammed Barkat : Les “rapatriés“ d’Algérie et le simulacre de la loi

Gilles Manceron : L’historiene et la société : le cas de l’Histoire coloniale et des comparaisons avec le nazisme 

Trinh Van Thao : La « mission civilisatrice » en question. Le système éducatif indochinois (1862-1945) est-il un échec programmé ?

Catherine Coquery-Vidrovitch : De la culture coloniale à la postcolonialité ; le rôle de Vichy 

 

Deuxième partie : Comment on raconte l’Histoire

Sébastien Jahan : Histoire-épopée et mémoire sélective. Remarques sur l’historiographie du premier Empire colonial français

Anissa Bouayed : Variations sur un thème oriental : inflexions, silences, points d’orgue et résonnances de la perception du monde arabo-musulman dans l’école laîque

Delphine Robic-Diaz : La guerre d’Indochine revue et corrigée par le cinéma américain des années 1950

Philippe Dumont : L’Indochine racontée aux enfants. Une histoire mal ficelée en guise d’Histoire officielle

Odile Tobner : Une très fausse image des choses. Du droit et de la liberté de critiquer le discours dominant. Remarques préliminaires

Alain Ruscio : Les guerres coloniales sont-elles finies ? L’activité mémorielle des réactionnaires, nostalgériques, anciens OAS, militants d’extrême-droite…

Gilles Manceron : Hélie Denoix de Saint Marc ou la fabrication d’un mythe

Mohammed Harbi & Gilbert Meynier : La dernière frappe du révisionnisme médiatique. Réflexions sur le livre de Georges-Marc Benamou, Un mensonge français. Retours sur la guerre d’Algérie

Jan Vandersmissen : Cent ans d’instrumentalisation de Léopold II, symbole controversé de la présence belge en Afrique centrale

Michele Brondino : La gestion de la fracture coloniale. Considérations sur les cas français et italien

 

Troisième partie : Expériences de terrain

Jean-Philippe Ould-Aoudia : L’OAS, aujourd’hui, au cœur de la République. De la falsification à la réhabilitation

François Nadiras : Toulon-Marignane : Histoires de plaques et de stèles. L’implication de la Section toulonnaise de la Ligue des Droits de l’Homme

Rosa Moussaoui : Internet : un espace propice à la réécriture de l’Histoire

Vincent Geisser : Le révisionnisme municipal. Montpellier sous le mandat Frêche (1977-2004)

 

Epilogue

Alain Ruscio : Le fond de l’air (colonial) effraie


Tribune libre - Article paru dans l’Humanité, le 21 janvier 2008
Mythes et mystifications de l’idéologie coloniale
Un collectif d’historiens rétablit les vérités bonnes à dire face aux tentatives visant à exonérer les États colonisateurs de leurs responsabilités.
Histoire de la colonisation. Réhabilitations, falsifications et instrumentalisations, sous la direction de Sébastien Jahan et Alain Ruscio, Éditions Les Indes savantes, 2007, 354 pages, 32 euros
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Voici un livre intense, par le nombre de ses contributions (une vingtaine et un ensemble de 350 pages),
la diversité des angles d’approche du sujet (élaboration et enseignement de l’histoire, enracinement civique) choisie par des auteur(e)s, eux-mêmes divers par leur formation et leurs appartenances géographiques et professionnelles. Mais dans la production foisonnante actuelle, c’est particulièrement la démarche assumée de travail réellement collectif - d’une part, au sens de l’existence d’une visée commune, et d’autre part, d’un travail historique engagé, portant la question de l’articulation de l’engagement

et de la démarche scientifique comme tension fondatrice - qui fait la singularité de cet ensemble. Sébastien Jahan et Alain Ruscio, les coordinateurs du projet, ont eu à coeur de l’inscrire explicitement dans une urgence du présent, dans les débats contemporains devenus publics, particulièrement depuis la loi du 23 février 2005 imposant l’enseignement du « rôle positif » de la présence française outre-mer.

Ils disent, dès la citation liminaire, qui évoque les noms d’André Mandouze, de Pierre Vidal-Naquet et de Jean-Pierre Vernant, dans quelle ambition historienne ils inscrivent cette intervention, ambition d’une histoire aux prises avec les débats du présent social et responsable à son égard. L’introduction dit la nécessité éprouvée par l’ensemble des auteurs de répondre à la diffusion, sous des formes diverses, des idées tendant à réhabiliter le passé colonial, à en minimiser les conséquences, à exonérer les États colonisateurs de leur responsabilité, comme cela s’est traduit à travers l’avalanche récente de textes recourant à l’argument polémique du refus de la « repentance ». Citant des propos récents de l’Italien Gianfranco Fini ou du Britannique Gordon Brown, ils nous rappellent utilement qu’il faut comprendre ce renouveau de puissance des « réhabilitateurs » dans un mouvement de grande ampleur qui parcourt l’ensemble de l’Europe.

Les contributions explicitent, chacune dans son champ, ce que l’ampleur du courant « réhabilitateur » doit à la difficulté de penser la critique du colonialisme à nouveau frais, en s’autonomisant du discours de lutte des anticolonialistes. Elles disent, particulièrement dans la première partie, la nécessité de penser à la fois la complexité des situations coloniales, les contradictions des politiques métropolitaines, leur impressionnante continuité aussi, en dépit des clivages politiques. Elles disent, plus particulièrement dans la seconde partie, à travers des approches très fines des textes, des effets de sens fort entraînés par le choix des mots, comment l’histoire, l’enseignement, mais aussi toute une production militante nostalgique, notamment « nostalgérique », diffusent de fait une vision positive de la colonisation. Le troisième volet de l’ouvrage, Expériences de terrain, expose comment ces idées sont rendues visibles et actives dans l’espace public, grâce à des soutiens politiques favorisant l’installation de plaques commémoratives, de monuments, et l’attribution de noms de rue.

Voilà donc un ouvrage collectif dans lequel l’ensemble des interventions réunies fait réellement sens. Il met en acte la façon dont la légitime dénonciation de la réhabilitation des crimes (et des criminels) coloniaux doit gagner sa crédibilité en s’adossant à une histoire qui doit savoir être sans tabou.

Anne Jollet, historienne