Le point de départ de ce projet ?
L’idée est née pendant l’élection présidentielle. Je n’en pouvais plus d’entendre taper sur les immigrés. D’autant qu’il y avait déjà eu le débat sur l’identité nationale : l’immigration a été montrée du doigt, stigmatisée. Sans compter tout ce qui s’est passé avec Buisson, Guéant, etc. La barque était déjà assez chargée. J’en discutais avec une journaliste de Presse & Cité, qui m’a mise en contact avec son éditeur. En juin, j’ai commencé à faire des entretiens - une trentaine au total. Mais le livre a beaucoup évolué : au départ, l’idée était de réunir deux générations, celle des parents et celle des enfants. Mais quand les parents étaient d’accords, les enfants ne l’étaient pas, et vice-versa. Du coup je ne l’ai fait que pour deux témoignages, ceux de Raphäl Yem et d’Amelle Chaabi.
Je voulais absolument qu’il y ait des gens de toutes origines. J’ai prospecté autour de moi, j’ai fait fonctionner le bouche-à-oreilles. Mais, par exemple, j’avais du mal à trouver des Polonais qui faisaient partie de la première génération d’immigrés. J’ai même contacté des maisons de retraite. A force d’en parler, j’ai fini par trouver. Mona, par exemple, je l’ai abordée dans la rue après l’avoir vue tracter plusieurs fois dans la rue au sujet de l’Iran.
Celui d’Anna m’a vraiment ému. J’ai eu du mal à ne pas pleurer. Née en Pologne, déportée en Allemagne, elle est restée séparée de sa mère pendant vingt ans et, entre temps, son pays est devenu l’Ukraine. A travers ces témoignages, on découvre des pans de l’Histoire de façon très concrète. Quand Juan évoque la guerre d’Espagne entre les Républicains et les franquistes, il raconte la guerre civile, les combats dans la rue, les bombardements… J’ai énormément appris. Je suis même allée au delà de clichés que je pouvais avoir. Par exemple, j’avais l’impression que l’immigration était avant tout économique, sans m’être vraiment posée la question des migrations liées à des bouleversements géo-politiques.
Elles ont travaillé et ont toujours eu - contrairement aux idées reçues - la valeur travail très à cœur. A part Fatéma, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, ces gens avaient aussi le souci de ne pas se faire remarquer, de rentrer dans le moule. En fait, les immigrés espagnols, polonais ou maghrébins ont énormément de points communs. Ils ont envie d’offrir une vie meilleure à leurs enfants. La plupart sont aussi très fiers d’avoir réussi à acheter leur maison ou un bien immobilier. C’est une façon de construire quelque chose et de s’enraciner. D’ailleurs, quasiment tous ont demandé la nationalité française, même s’ils expliquent à chaque fois que cette démarche a été pour eux un vrai débat intérieur. Ces parcours font aussi écho à celui de mes parents…