Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), par Pierre Daum

Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), par Pierre Daum, éd. Solin-Actes Sud, mai 2009.

couverture


Les indigènes oubliés
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’Etat français recrute de force des travailleurs indochinois pour remplacer les Français mobilisés. Récit d’un des derniers survivants.

Par NATHALIE DUBOIS - libération


Le Midi-Libre : Quand des Indochinois semaient du riz en Camargue


riz

MÉMOIRE
A partir de 1939, 20 000 Indochinois ontété enrôlés en France, d’abord pour soutenir l’économie de guerre. En Languedoc-Roussillon aussi, l’Etat colonial en a parqué dans des camps. Le livre Immigrés de force tire de l’oubli leur labeur dans des entreprises et l’agriculture. Certains ont contribué à l’avènement du riz de table en Camargue. Midi Libre a abordé, avec l’un de ces Vietnamiens et un riziculteur camarguais centenaire, les débuts tâtonnants du riz. Un chercheur nous parle aussi de la science du riz. Sachant que sans mémoire, il n’y a pas d’avenir.

ENTRETIEN
Pierre Daum publie un essai sur l’histoire des Indochinois en France (1939-1952)


Qui étaient ces travailleurs indochinois et dans quelles conditions sont-ils

venus ici ?
A l’approche de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français est allé chercher des hommes dans les colonies pour l’effort de guerre dans les usines d’armement, comme en 1914. 20 000 ouvriers non spécialisés, pour la plupart paysans illétrés, ont été réquisitionnés, avec un quota par village. Chaque famille ayant au moins deux garçons d’au moins 18 ans avait obligation d’en envoyer un. En cas de refus, le père allait en prison. Ils ont rejoint la "Mère Patrie", entassés dans des bateaux sur des planches en fond de cale, des conditions déplorables, dans l’indifférence des passagers de 1 re classe.

Pourquoi n’ont-ils pas été rapatriés dès juin 1940 ?
C’est un des scandales de cette histoire. Alors que la raison de leur présence en France n’avait plus lieu d’être, Vichy a exploité ce recrutement, et le gouvernement de la IV e République, après la Libération et jusqu’en 1952, n’a pas eu pour priorité d’y mettre fin. Il n’avait pas le sentiment d’une dette morale. L’idéologie coloniale a été poussée au paroxysme. On est tombé dans une exploitation sans vergogne de cette main d’oeuvre dite indigène. Contre un petit salaire, qui n’était pas reversé à ces travailleurs, l’Etat a loué leurs services à des entreprises privées ou des collectivités. Dépendants de la MOI, (Main d’oeuvre indigène), rattachée au ministère du Travail, ils ont été répartis dans six camps du grand Sud, comme à Agde où ils étaient environ 3 000. A la demande, ils travaillaient aux champs, aux vignes. La société Pechiney louait à la MOI 300 hommes aux Salins de Giraud.

Quelles étaient les conditions de vie dans ces camps ?
Une semi-détention, sous discipline militaire. Les directeurs étaient des officiers retraités de l’armée coloniale. Mis en prison pour un incident, les hommes étaient confi nés, à soixante, dans des baraques, avec lits de planches et de paille. Ils étaient frappés, souvent maltraités, souffraient du froid qu’ils découvraient. Un millier sont morts de tout cela avant la Libération.

Quel parallèle faites-vous avec les tirailleurs sénégalais et nord-africains, dont le film "Indigènes" a révélé l’histoire ?
Sans minimiser l’injustice faite aux Indigènes du film de Bouchareb, le tort fait à ces Indochinois a été plus grand. C’est comme un trou noir de la mémoire. Nul ne leur a rendu hommage, ils n’ont touché aucune pension. Leur salaire était d’un franc par jour, contre environ cinq francs de l’heure pour le bas salaire d’un ouvrier français. Leur histoire est une transposition en métropole de la condition coloniale.
En février 2005, les députés ont tenté de faire passer une loi sur le "rôle positif " de la colonisation...
Il ne peut plus y avoir de réparation matérielle pour ces hommes, ils ne sont plus qu’une poignée. Et au soir de leur vie, s’ils aspirent à quelque chose, ce n’est pas à de l’argent, mais à la reconnaissance de l’Etat français.


Recueilli par Laure JOANIN