"Io Sto con la Sposa" (Du côté de la mariée), de GABRIELE DEL GRANDE, KHALED SOLIMAN- AL NASSIRY, Antonio Augugliaro et la participation de TAREQ AL JABR, traducteur

Khaled, un poète palestinien et Gabriele, un journaliste italien, ont rencontré 5 réfugiés syriens et palestiniens. Pour les aider à rejoindre la Suède, ils ont décidé d’organiser un faux mariage, et ils ont filmé leur périple de 4 jours de Milan à Stockholm.
 

Les Inrocks

par Laeticia Bouafia

Quand des réfugiés parviennent à traverser l’Europe grâce à un faux cortège nuptial

C’est un documentaire qui résonne étrangement avec l’actualité. Son nom ? lo Sto con la Sposa – “Du côté de la mariée” en italien. Réalisé en 2013, ce périple ne semble pas avoir pris une ride. Hier comme aujourd’hui, des réfugiés continuent d’arriver par milliers en Italie pour fuir la guerre de l’autre côté de la Méditerranée. Il y a deux ans, Khaled, un poète palestinien et Gabriele, un journaliste italien, ont décidé d’aider cinq d’entre eux à rejoindre la Suède.

En septembre 2013, Abdallah, un réfugié d’origine syro-palestinienne, cherche le prochain train pour Stockholm depuis Milan. Gabriele et Khaled, à défaut de pouvoir inventer une ligne de chemin de fer qui n’existe pas, décident de lui offrir un café et de réfléchir aux moyens de rejoindre la Suède. Avec 4 autres réfugiés, Abdallah souhaite en effet rejoindre Stockholm où on murmure que les Syriens y obtiennent automatiquement le droit d’asile et sont hébergés dans de bonnes conditions.

Pour éviter de se faire arrêter sur la route, ils ont alors l’idée d’organiser un faux mariage avec l’idée que personne n’arrêtera un cortège nuptial. Gabriele se met également en contact avec Antonio Augugliaro, un réalisateur italien, pour filmer le périple.

Deux semaines après cette rencontre devant la gare, la troupe est prête. Elle est composée d’Abdalah, d’Alaa et de son fils Manar qui sont palestiniens, et de Mona et Ahmed, un couple syrien. Tasneem, une activiste syrienne qui vit entre l’Allemagne et l’Italie, jouera la future femme d’Abdalah. Les quatre autres réfugiés joueront leur famille, accompagnés de 9 autres Italiens volontaires, les “proches” de la famille, pour rendre le mariage plus crédible. Au total, ils sont plus de 23 à partir pour cette aventure de 4 jours.

Un périple sous haute surveillance

Khaled est conscient du danger. Ce poète palestinien, qui vient d’obtenir pour la nationalité italienne après 5 années passées sur place, risque gros. Pour les réfugiés, ils auront “au pire”, une prise d’empreintes digitales. Mais les trois réalisateurs, Gabriele, Khaled et Antonio Augugliaro se sont mis dans l’illégalité, et risquaient jusqu’à 15 ans de prison.

“Quand on a commencé ce projet, on avait l’impression de faire quelque chose d’illégal. Mais quand on a appris à bien connaître les gens qu’on aidait, on a compris qu’on faisait une action humanitaire complètement normale”, explique Antonio Augugliaro, dans une interview accordée à Arte.

A pied d’abord, le groupe se met à parcourir les 40 kilomètres qui séparent Vintimille de Nice. Pour franchir la frontière, ils empruntent un chemin de montagne, moins risqué, qui était utilisé dans les années 50 par des Italiens sans papiers. Avec leurs quatre voitures de location, décorées de rubans blancs, ils vont à Marseille, où Manar, le jeune rappeur, décide de chanter son rêve de voir la Palestine libérée.

Le lendemain ils partent vers le nord de l’Allemagne. Ils font une pause à Nancy, pour s’assurer qu’ils ne risquent rien. Une voiture remplie des “témoins”, qui ont leur papier, part en éclaireur. La voie est libre. La traversée du Luxembourg se passe sans encombre, ils arrivent durant la nuit à Bochun, dans le nord de l’Allemagne, où ils passeront la nuit.

Le troisième jour, les Italiens s’organisent pour aller à Copenhague. C’est là que les frontières sont les plus surveillées. Ils évitent Rostock, où il faut obligatoirement prendre le ferry, et font un long détour par Hambourg. Ils traversent la frontière par un pont, et arrivent à Copenhague dans la nuit. Le lendemain, ils décident de prendre le train pour la dernière étape de leur voyage. Et arrivent finalement tous sans encombre à Stockholm, où Manar, le jeune rappeur, décide d’improviser un concert devant le groupe pour fêter la fin de ce périple de 3000 kilomètres.

Seul survivant d’un naufrage

Abdallah est le plus timide des 5 réfugiés. Il vient de Syrie, voyage seul et a été très éprouvé par sa traversée de la Méditerranée. C’est l’un des rares survivants d’un naufrage où 250 personnes ont péri. Mona et Ahmed viennent d’Alep, ils ont payé une fortune pour faire la traversée.

Alors que leur embarcation de fortune coulait, des bateaux se sont approchés, sans s’arrêter. Ahmed a particulièrement été marqué par une famille de 14 personnes originaire d’Alep comme lui. Ils avaient payé 13200 dollars pour la traversée, 1000 par adulte et un supplément de 200 pour un bébé. Ils sont tous morts. Mona et Ahmed étaient détenus à Lampedusa, une et ont réussi à s’enfuir, sans donner leurs empreintes digitales.

Alaa voyage avec son fils Manaar pour lui offrir une meilleure vie. Sa femme et ses deux autres enfants sont en Syrie, il espère avoir un statut de réfugié en Suède pour pouvoir les faire venir. Malheureusement, Alaa a été forcé de donner ses empreintes digitales en Italie. Selon le règlement Dublin II, la demande d’asile politique doit être faite dans le pays où les empreintes des réfugiés ont été prises, il risque donc d’être expulsé vers l’Italie, mais espère une faveur du gouvernement suédois car son fils n’a pas été fiché en Italie.

Deux ans après, Abdallah, Mona et Ahmed vivent dans le même petit village en Suède. Manar et son père Alaa ont été renvoyé un Italie, pendant une courte période. Ils ont finalement obtenu un logement en Allemagne, et leur famille a pu les rejoindre. Khaled, Gabriele et Antonio n’ont pas été poursuivi pour leur documentaire, qui a même été étudié au parlement européen. Un comble, quand on sait qu’ils voulaient justement dénoncer la politique européenne sur les frontières et l’immigration. Aucune prise de conscience n’a eu lieu, déplore l’équipe.

En 2014, 3500 migrants sont morts en Méditerranée. En août 2015, ils étaient déjà plus de 2000 à perdre la vie en voulant, comme Alaa, Namal, Ahmed, Mona et Abdallah, rejoindre l’Europe pour y vivre une vie meilleure.

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