L’Expression (Algérie) / L’amour n’a pas de frontières - à propos de "France Terre d’ecueils" de Aomar Mohammedi

Mais c’est dans l’exil que l’amour frappe le plus fort, quand bien même le pain de l’étranger serait amer.

C’est une réflexion qui vient de loin dans l’histoire de l’humanité. Et pourtant, nul n’y croit avant d’avoir vécu l’histoire que nous raconte Aomar Mohammedi dans son « ouvrage », au sens plein du terme, intitulé France...terre d’écueils (*). Le sous-titre nous en donne le thème : « Errances et souffrances d’un jeune immigré clandestin. » J’approuve ce qu’en dit Abderrahmane Zakad dans sa préface : « Le drame de l’immigration qui est toujours joué dans les arènes de l’Histoire, celle de l’Algérie et de la France, a marqué un temps fort dans la création romanesque. Mais ici, il ne s’agit pas de roman, c’est une histoire vécue qui fait basculer la littérature vers le réel. » Récit, ou plutôt témoignage, est un genre d’expression qui a nécessité beaucoup d’humilité à l’auteur, et autant de clairvoyance et de courage pour « se dire » et nous le dire.
On ne peut commencer à raconter cette histoire par « Il était une fois, un jeune algérien né en Kabylie qui fit de belles études dans son pays et qui, peut-être, comme d’autres camarades de son âge, voulut parfaire ses études à Toulouse, en France. Ce pays, d’après les jeunes qui l’avaient connu, serait un Eldorado, où il serait facile de s’épanouir... » Aomar Mohammedi confie : « Lors de l’écriture de ce livre, en 2005, je n’avais que trente-cinq ans, mais j’ai senti que je devais raconter mon périple d’émigré. Ce chemin facile en apparence, s’est révélé terriblement compliqué dès mes premiers pas à Toulouse, malgré mes compétences et mes acquis qui se sont transformés, du jour au lendemain, en peau de chagrin. [...] J’étais venu ici poursuivre mes études, afin d’accéder à un métier respectable et devenir la fierté de ma famille restée au pays, des fellahs courageux aux yeux brillants de me voir sur de si bons rails pour envisager un avenir radieux. »
Les désenchantements jalonnèrent ses chemins d’espérance. Dans la France terre d’accueil, l’émigré clandestin évidemment ne rencontra que des écueils. Dans son livre, Mohammedi confie encore : « En France, lorsque vos nom et prénom ne sonnent pas comme ceux du terroir, certaines personnes vous le font bien ressentir et abusent de votre ignorance. Je voulais être steward et j’ai payé, au prix fort, une formation de deux ans pour qu’à son terme, l’on me rejette en disant ‘‘ Ce n’est pas pour des gens comme vous ! ».
L’auteur rapporte avec détails ses souffrances et les « mesquineries » dont il fut l’objet durant son séjour en France, mais « l’une des plus odieuses, celle qui [lui] a fait le plus mal [c’était] quand on [lui] a refusé le mariage avec celle qui deviendra [sa] femme [Christelle] et qui sera la mère de [ses] enfants...Arrêté par la gendarmerie [il a] même été reconduit illico en Algérie, comme un bandit. »
Quoi qu’il en fût, l’auteur rencontra des âmes charitables qui le protégèrent de la misère (sans travail, SDF, fugitif, recherche de petits boulots et objet de la surenchère des employeurs esclavagistes) ; des associations françaises, dont la célèbre CIMADE, l’aidèrent, lui restant attaché aux traditions du pays et à l’islâm, à trouver un emploi digne (entre-temps, il avait obtenu un BTS de tourisme) et à devenir bientôt le patron d’une agence de tourisme. L’aventure n’est pas terminée, mais désormais elle sera heureuse, puisqu’il a pu épouser « selon le rite musulman » sa bien-aimée Christelle qui, elle, ne se détourne pas de sa foi catholique. Aomar Mohammedi aime à préciser, sans l’aide efficace d’amis français, « Je n’aurais jamais pu me marier, vivre en France et conduire le bonheur de voir naître notre enfant. » Il l’a prénommé Lyès. Le lecteur appréciera cette aventure qui conduit Aomar « à la rencontre d’une merveille incomparable : l’amour d’une femme. »
L’histoire vécue est toujours émouvante, celle de Aomar, certainement. Cependant, le récit « d’une vie d’émigré » ne devrait servir qu’à mettre en garde nos jeunes dont les yeux et les oreilles sont pleins de promesses et d’espérances douteuses, périlleuses, scélérates.
Si cette leçon, assez ambiguë à mon sens et peu convaincante par son écriture et par ses objectifs même, pouvait, malgré toutes ces réserves, susciter des réflexions positives chez les candidats au départ vers l’inconnu, vers le danger, vers la perdition, ce serait une belle et grande chose. Je sais que pour beaucoup « on apprend en se trompant » et « il n’y a que celui qui ne travaille pas qui ne se trompe pas ». Pour beaucoup aussi la réponse facile, populaire, simple, est : « Pour ne pas se tromper, on n’apprend pas ou on ne travaille pas. »
Personnellement, je crois à l’éducation et à l’instruction qui organisent les connaissances qui doivent être le but des activités d’éveil de nos jeunes. La famille, l’école, le plaisir de la lecture et le goût de l’information sont les clés de la pédagogie qui tend à élever nos enfants et à leur donner les moyens moraux, culturels, civiques, politiques pour être demain, et mieux, déjà les hommes qu’il faut à une Algérie ouverte au progrès et à la fraternité humaine, en quelque lieu que celle-ci se trouve.
Enfin un mot d’encouragement aux jeunes « Éditions Livre D’Esprit » qui s’initient à faire connaître des auteurs algériens.

(*) France...Terre d’écueils de Aomar Mohammedi, Éditions Livre D’Esprit, Alger, 2009, 159 pages.

Kaddour M´HAMSADJI


Voir aussi :

EL WATAN : Récit- « France terre d’écueils » de Aomar Mohammedi : Les illusions passagères

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