L’Humanité : Seuls les animaux sont libres de circuler

La romancière imagine la vie d’un travailleur malien que les circulaires Sarkozy plongent dans le désarroi. SAMBA POUR LA FRANCE, de Delphine Coulin. LE SEUIL, 306 PAGES, 19 EUROS.

À première vue, le dernier livre de Delphine Coulin n’aurait de roman que le nom, car il colle tant à la réalité la plus quotidienne qu’il semblerait plutôt être un reportage. La romancière est d’ailleurs cinéaste. C’est-à-dire qu’elle doit savoir regarder le monde. Samba Cissé, « un nom qui ressemble à un coup de vent », Malien émigré en France, à Paris, depuis dix ans, vit dans une cave « comme les émigrés des années soixante », avec son oncle arrivé plus tôt. Les circulaires Sarkozy sur l’immigration vont mettre à mal son petit bonheur très précaire car il devient soudain sans papiers et éjectable en puissance en cas de contrôle. « Vous faites l’objet d’une OQTF, une obligation de quitter le territoire français », lui assène l’officier du centre de rétention administrative de Vincennes où il vient d’y être enfermé alors qu’il venait, en toute bonne foi, faire renouveler son autorisation provisoire de séjour. Le personnage de Samba est évoqué à la troisième personne du singulier par plusieurs intervenants dont une bénévole à la Cimade, association qui s’occupe de la défense des sans-papiers. Petit à petit, le portrait de cet homme menacé se dessine et l’on comprend qu’il est un parmi beaucoup d’autres, tout à fait semblables à lui. De son enfance au Mali passent quelques bribes : la mort du père sur un chantier ; lui, l’aîné, et le seul garçon, donc celui qui doit prendre soin des trois femmes de la famille ; le désir de partir en France coûte que coûte, d’y trouver un boulot pour mieux envoyer de l’argent au pays. On croise un certain nombre de personnages au tempérament fort, condiment indispensable à la tenue du récit. Jonas, par exemple, venu du Congo-Kinshasa, rencontré au centre de rétention de Vincennes : « Il avait vécu la guerre, écrit Delphine Coulin, les violences, mais il ne faisait partie d’aucun groupe politique, il n’avait aucun certificat prouvant que toute sa famille avait été tuée, il n’avait pas été suffisamment activiste, ni suffisamment menacé, et c’était comme si toutes les horreurs qu’il avait vues ou subies étaient insuffisantes. » Il y a Gracieuse, la cousine de Jonas, shampouineuse à la Goutte-d’Or, et Manu, une étudiante en droit qui jure comme un charretier. Delphine Coulin suit pas à pas son personnage qui n’est pas un héros au sens habituel du terme mais une victime, que les circonstances politiques d’une France de moins en moins accueillante vont même obliger à changer de nom pour avoir au moins un semblant d’identité. Ce récit, cruel par la force des choses, est très bien informé et laisse entendre que seuls les animaux peuvent passer les frontières librement.

MURIEL STEINMETZ


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