« L’invention de l’immigration » (Collectif, AGONE ed.)

En nous rejoignant, vous rejoignez une longue histoire, une langue présente sur les cinq continents, de nombreuses pages de gloire et hélas quelques épisodes sombres.
Vous rejoignez un pays qui est né à l’ombre des grandes cathédrales – et je trouve particulièrement émouvant que cette maison, cette préfecture de police, soit dressée si près de Notre-Dame-de-Paris – mais qui respecte les autres croyances et philosophies.
Vous rejoignez un pays de mers et de montagnes, de villes et de campagnes, de monuments anciens et récents, qui disent sa gloire et sa grandeur.
Et désormais vous appartiennent – comme à nous – Chartres et Versailles, la tour Eiffel et Chambord, le mont Saint-Michel et le Louvre, Victor Hugo et Debussy, Delacroix et Rodin.
Soyez fiers d’être désormais français, comme nous sommes heureux de vous recevoir parmi nous.
(Extrait du discours de M. Builly, sous-directeur de la citoyenneté, lors d’une cérémonie de remise des décrets de naturalisations à la préfecture de police de Paris, 23 février 2006)



SOMMAIRE

Éditorial en marge des sirènes du « post-post… » Un travail collectif sur la fabrique des catégories et l’invention de l’immigration, Choukri Hmed & Sylvain Laurens

L’immigration : naissance d’un « problème » (1881–1883), Gérard Noiriel
Les discours sur le « problème » de l’immigration se répartissent en deux grands chapitres, constamment mis au centre de l’actualité. Le premier concerne l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire national. Le second touche à la question de l’intégration de ces étrangers (ou de leurs enfants) dans la société française. Je montrerai ici que le mot « immigration » s’est imposé brutalement dans le vocabulaire politique français, au début des années 1880, pour désigner d’emblée ces deux types de préoccupation. C’est à ce moment-là qu’a été inventée la matrice qui a produit et reproduit toutes les polémiques sur le sujet depuis cent vingt-cinq ans.

Organiser l’immigration. Sociogenèse d’une politique publique (1910–1930), Benoît Larbiou
La crise économique qui se généralise en France vers 1934 bouleverse le système de régulation de l’immigration : d’essentiellement ouvrière elle va se diversifier. Face à la concurrence réelle ou supposée des étrangers, beaucoup de professions s’engagent dans une logique de réduction des professions et d’exclusion des personnes. La protection du travail national – ou, de façon moins euphémisée, la lutte contre les « métèques » – prend un tour nouveau. La régulation de l’immigration se négocie désormais par secteur d’activité. Mais les cadres de la problématique réformatrice demeurent à l’état latent jusque dans le contexte d’entre-deux-guerres.

La construction du problème de l’émigration. L’élite étatique & l’émigration portugaises vers la France (1957–1974), Victor Pereira
Dans la société portugaise aux hiérarchies rigides, les hauts fonctionnaires et les hommes politiques les plus importants ne sont issus que de la moyenne et grande bourgeoisie agricole et des classes moyennes et supérieures urbaines. Certes fortement clivée, c’est tout de même cette minorité qui monopolise la définition de l’intérêt général. Nous décrirons ici comment les employeurs de main-d’œuvre construisirent le « problème de l’émigration », comment sa gestion fut subordonnée à l’intérêt de ces employeurs et, enfin, comment l’appréhension du phénomène migratoire par l’élite administrative et politique évolua durant les années 1960.

« Sonacotra cédera ! » La construction collective d’une identité collective à l’occasion de la grève des loyers dans les foyers de travailleurs migrants (1973–1981), Choukri Hmed
Au-delà de la mise en évidence d’un processus de construction identitaire, le retour sur une mobilisation aussi importante et aussi méconnue de l’histoire officielle (nationale) a permis de remettre en cause, s’il le fallait, la perception de l’immigration comme apolitique et dépolitisée. Surtout, l’analyse de la « grève des loyers » souligne à quel point l’élaboration des revendications d’un mouvement social est prisonnière du contexte historique et politique qui le voit émerger. Ainsi, d’une décennie à l’autre, comment le référent de classe fera place aux références religieuse, ethnique ou de genre.

« Les Maliens à l’Élysée ». Chronique d’une visite forcée, Sylvain Laurens
Ce coup médiatique qui tombe « à côté » nous renseigne sur la force des normes politiques, étatiques et protocolaires, sur ce qui est dicible et faisable par un homme politique lorsqu’il est question d’immigration. Jamais répétée, cette initiative ne pouvait, en effet, intégrer le répertoire d’actions légitime susceptibles d’être mobilisée par un chef d’État – ne serait-ce que pour s’attirer les faveurs des commentateurs politiques. Elle ne révèle que trop dans quelle mesure l’« immigré » – assigné à résidence – peut être « visité », ou « sollicité », mais difficilement et solennellement « invité »

La mise en image du « problème des banlieues » au prisme de la division du travail journalistique, Jérôme Berthaut
Notre article veut restituer le processus de fabrication des images et des discours sur « les banlieues » à travers l’élaboration d’un reportage sur la « perception des jeunes des cités sur la guerre en Irak », que nous avons suivie lors d’observations menées dans une rédaction de télévision nationale en mars 2003. La restitution des différentes phases de production (et notamment l’impact de la division du travail entre responsables de la rédaction et journalistes « dévolus » aux banlieues) révèle les opérations de catégorisation successives qui sont appliquées aux « jeunes » interviewés et à leurs discours afin d’incarner un « point de vue de banlieue ».

« Mériter d’être français ». Pensée d’État & expérience de naturalisation, Sarah Mazouz
L’usage administratif de la notion de « mérite » se fonde sur la « naturalisation », entendue au sens juridique, comme faveur et non comme droit. En revanche, la manière dont les naturalisés se réfèrent au mérite leur permet de présenter leur naturalisation comme une décision justifiée et fondée sur leurs qualités personnelles. Cet usage révèle des formes de réappropriation par les naturalisés du discours de l’administration. Il met aussi en évidence que, tout en se pensant comme les représentants exemplaires de l’immigration, ils conservent un sentiment persistant d’illégitimité par rapport à ceux qui sont nés français.

Les immigrés du BTP à l’ombre de la « pénurie de main-d’œuvre », Nicolas Jounin
Si la pénurie de main-d’œuvre, ni vraie ni fausse, était recréée périodiquement par un système de dévalorisation de la main-d’œuvre dont elle est l’argument ? Son invocation serait un moyen de redoubler symboliquement la précarité du séjour et de l’emploi des immigrés utilisés par le bâtiment : s’il n’est pas à l’ordre du jour de stabiliser et sécuriser ces travailleurs-là, c’est parce qu’ils sont présentés comme des bouche-trous appelés à disparaître avec la résolution, enfin, de la pénurie. Pendant ce temps, un effectif nombreux et constamment renouvelé de travailleurs immigrés contribue à la construction des bâtiments.

http://atheles.org/agone/revueagone/agone40/


19 Novembre 2008 Marseille 1er (13)
Débat L’invention de l’immigration
organisée en en collaboration avec ACT Approches, Cultures et Territoires

Rencontre débat autour du numéro de revue L’invention de l’immigration
en présence de Choukri Hmed et Sylvain Laurens

18h30 Salle Cézanne du CRDP, 31 Boulevard d’Athenes

act@approches.fr
www.approches.fr