92 - Hauts-de-Seine

"LEUR VIE EST ICI" : DANS LES HAUTS-DE-SEINE, UNE FAMILLE ET SES ENFANTS NÉS EN FRANCE MENACÉS D’EXPULSION

Le père et la mère de cinq petites filles - dont trois sont nées en France - risquent d’être expulsés. Parents d’élèves et associations sont mobilisés.

Amina et Hichem B. vont-ils devoir quitter la France avec leurs enfants, scolarisées pour certaines depuis plusieurs années dans des écoles d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) ? La famille, avec ces cinq fillettes âgées de 6 mois à 11 ans, est menacée d’expulsion. "C’est d’autant plus insupportable qu’une des enfants est malade," s’indigne auprès de BFMTV.com Richard Moyon, cofondateur du Réseau éducation sans frontières (RESF), soutien de la famille.

Le couple a quitté l’Algérie en 2015. À l’époque, les trois plus jeunes enfants ne sont pas encore nées. Les parents viennent soigner l’aînée, alors âgée de 3 ans, car la fillette souffrait d’une grave malformation cardiaque : la tétralogie de Fallot. Cette cardiopathie congénitale complexe, comme l’explique la Haute Autorité de santé, nécessite des soins dès la naissance et implique une opération chirurgicale.

"En Algérie, elle n’arrêtait pas de faire des malaises" (le malaise anoxique, l’une des complications principales de cette pathologie, quand le passage du sang oxygéné dans les artères pulmonaires s’interrompt brutalement, NDLR), témoigne pour BFMTV.com Hichem B. le père de l’enfant.

"On ne pouvait pas la soigner", raconte-t-il aujourd’hui. "Venir, c’était une question de survie."

Une obligation de quitter la France
L’aînée est opérée après son arrivée en France - au départ, la famille n’envisage pas de s’installer dans l’Hexagone. "Mais le médecin nous a dit que l’état de ma fille était grave, qu’il pouvait y avoir des complications, des séquelles", relate le père : elle reste aujourd’hui suivie - sa pathologie est considérée comme une affection longue durée et impose une prise en charge particulière.

Hichem B., qui a "bataillé pour faire vivre (s)a petite fille", redoute, en cas de retour forcé, de revivre ces longs mois d’errance et de cauchemar en Algérie, "quand on était incapable de la soigner et que personne ne pouvait rien faire".

À partir de 2017, il obtient une autorisation de travail et devient agent de tri à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. D’abord en intérim et rapidement en CDI. Son employeur salue d’ailleurs son "engagement" et son "professionnalisme", notamment durant le confinement, lui qui a souhaité continuer de travailler pendant la crise sanitaire.

"La France a sauvé ma fille, c’était à mon tour de faire quelque chose", répond le quadragénaire, qui suit actuellement une formation d’électricien.

Le retour en Algérie représenterait "un risque vital"
Mais en 2020, leur autorisation provisoire de séjour expire. Leur demande de titre de séjour est rejetée et une obligation de quitter la France (OQTF) leur est notifiée le 29 mars dernier par le préfet, associée à une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF).

En principe, la famille pourrait pourtant régulariser sa situation : la circulaire Valls prévoit la possibilité d’obtenir une carte de séjour temporaire pour les étrangers présents en France depuis au moins cinq ans et dont les enfants sont scolarisés depuis au moins trois ans. C’est le cas pour les deux filles aînées de cette famille.

Mais interrogée par BFMTV.com, la préfecture des Hauts-de-Seine justifie son refus à la demande de régularisation d’Hichem B. "au regard de plusieurs éléments factuels". "Notamment son entrée irrégulière sur le territoire français, l’existence d’attaches dans son pays d’origine et l’avis de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration, NDLR) en 2020 estimant que l’état de santé de son enfant ne l’empêchait pas de voyager et de la faire soigner dans son pays compte tenu des structures médicales existantes en Algérie."

Une version que dément Hichem B. : "Nous sommes arrivés en France avec un visa court séjour de trois mois et ensuite j’ai obtenu une autorisation provisoire de séjour pour enfant malade, qui a été renouvelée plusieurs fois."

La cardiopédiatre de l’hôpital universitaire Robert-Debré (AP-HP) certifie par ailleurs que l’aînée a besoin un suivi "dans un centre hautement spécialisé" et que le retour dans son pays d’origine impliquerait "un risque vital faute de structure médicale adaptée".

Une appréciation "subjective" du droit ?
"La décision de la préfecture relève de l’appréciatif", juge pour BFMTV.com l’avocate des parents qui ne souhaite pas que son nom soit cité. Elle dénonce une appréciation "subjective" du droit. "La préfecture se borne à l’accord franco-algérien (sur la circulation, le séjour et le travail des Algériens, qui relèvent d’un régime spécifique, NDLR). Une admission exceptionnelle au séjour pourrait pourtant leur être accordée, la circulaire Valls est claire, mais le préfet la rejette sous prétexte qu’ils ne répondent pas aux conditions de l’accord franco-algérien."

"On n’est pas dans le droit pur et dur. C’est comme s’il y avait un flou juridique pour les ressortissants algériens qui ne sont pas en situation régulière."

Pour les enfants, l’avenir est incertain. Si l’administration française ne peut pas obliger un mineur à quitter la France, dans le cas où les parents d’un enfant font l’objet d’une OQTF, il peut être "éloigné" avec eux, indique le ministère de l’Intérieur.

L’avocate de la famille a formulé un recours et souhaite que la décision de la préfecture soit annulée. Richard Moyon, de RESF, rappelle par ailleurs que les trois plus jeunes enfants sont nées en France. "Elles deviendront donc Françaises", ajoute-t-il - même si le droit du sol a été restreint.

"Ils ont fêté son anniversaire à l’école"
"C’est une famille qui n’a jamais posé aucun problème, ils sont très courtois, intégrés, l’une des fillettes qui est dans la classe de mon fils est adorable. Ils ont même fêté son anniversaire à l’école", abonde pour BFMTV.com Cécile Claudel. Présidente de l’association de parents d’élèves de l’école, elle a relayé une pétition signée par près de 200 parents d’élèves scolarisés dans les mêmes écoles maternelle et élémentaires que les fillettes.

La pétition a également été diffuée par RESF, qui craint que les fillettes ne soient "arrachées à leurs écoles, mises de force dans un avion et expulsées vers l’Algérie, pays qu’elles ne connaissent pas", écrit-il sur son site.

"Leur vie est là, en France", continue Cécile Claudel, la représentante des parents d’élèves. "Nos filles ont leurs amis ici", poursuit leur père. "Et elles ne parlent quasiment pas arabe. Même à nous, elles nous demandent de leur parler en français."

S’il tente de rester positif "pour les enfants", Hichem B. reconnaît que leur situation est "difficile". "On a dû expliquer aux filles que notre demande de carte de séjour avait été refusée. C’est dur."

https://twitter.com/chussonnois
Céline Hussonnois-Alaya


Pétition à signer : https://reseau-resf.fr/ISSY-LES-MOU...

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