"La Blessure", un film de Nicolas Klotz

La France, terre d’asile ? Dans La Blessure, oeuvre fleuve, Nicolas Klotz dépeint, entre réalisme brutal et poésie, le calvaire des demandeurs d’asile venus d’Afrique centrale. Un film remarquable, par sa capacité à retranscrire les sensations de durée, de pénibilité, mais aussi d’espoir.


Depuis des mois, dans un squat de Saint-Denis, Papi attend Blandine. Un jour enfin, l’avion de Blandine se pose à Roissy. RER, hygiaphone de la police. Papi se presse contre la vitre, réclame Blandine, sa femme. Il tend les papiers officiels. Rien à faire. La jeune femme n’est pas sur la liste des passagers en provenance de Brazzaville. Couchée à même le sol, dans une cellule, entassée avec d’autres, Blandine est pourtant là. Sous un faux nom. Elle a sauvé sa peau, s’est échappée d’un pays où elle était traquée. Mais l’asile lui est refusé. Ainsi commence La Blessure de Nicolas Klotz, cinéaste de fiction et documentariste, qui enchaîne là une succession de très longs plans fixes. Le temps s’étire pour aboutir à un objet cinématographique de 2h40. Un temps qui n’est pas sans rappeler celui si long de l’attente à laquelle est confronté, des années durant, tout réfugié qui foule le sol français dans l’espoir d’une vie meilleure. Pour Blandine, la vie meilleure commence par des coups, une fouille à nu humiliante, des injures racistes (singes, macaques, tas de merde) proférées par des forces de l’ordre françaises dont le réalisateur et sa scénariste Elisabeth Perceval dressent, après enquête, un portrait au vitriol. « On n’est pas des animaux, on a quand même le droit de pisser ! », hurle un détenu. Celui-ci sera bon pour uriner dans une bouteille en plastique.

Et puis c’est l’accident. La blessure. La jambe de Blandine violemment coincée dans la porte d’un autobus sur le tarmac de l’aéroport parce que cette poignée de réfugiés refuse de monter dans l’avion du retour, se débat, hurle, pleure, crie sous les coups et les injures. Bousculade. Panique. Corps meurtris. On retrouve Blandine, laissée sans soin, à même le sol, dans un « sas » d’attente. Plan interminable, insoutenable, sur sa jambe ensanglantée. Mais de ce réalisme brutal se dégage une vérité poignante. Enfin, pour Blandine, la « liberté » arrive par la grâce d’un fax du ministère des Affaires Etrangères. Mais déjà on entasse dans une fourgonnette un autre « chargement », de Maghrébins cette fois. Qui s’en soucie ? Ils disparaissent du champ sans laisser de trace.

Menace imminente, absence songeuse
Deuxième partie. La tension dramatique du début laisse place à une évocation par petites touches de la vie du squat où Blandine et Papi ont trouvé refuge. C’est l’eau qu’on va chercher à la fontaine du cimetière voisin, les trous qu’on perce dans les murs pour laisser entrer un peu de soleil parce que « l’air est pourri ici », la chaleur insupportable d’un été de canicule, la menace imminente d’une descente de flics, et les vies qui se racontent en longs monologues d’où perce une absence songeuse. Une part d’eux est restée en Afrique. L’émotion affleure dans chaque regard, dans chaque mouvement de ces corps d’hommes et de femmes souvent à demi-nus, allongés sur des lits. Tous compagnons d’infortune d’un squat de banlieue filmé dans un magnifique clair-obscur.

Bien sûr, le public averti savait, avait déjà entendu. Mais qui d’autre entend ? (le film a été diffusé dans une version courte sur Arte la veille de sa sortie en salles) Qui entend celui qui se révolte parce qu’en France, dans les associations d’aide d’urgence, on le force à manger à la même table que les fous, les alcooliques et les malades qui le contaminent parfois ? Là, dans ce milieu, Blandine refuse de sortir... La peur du flic.

Et puis un jour, enfin, l’air frais, le soleil. Aller cueillir des cerises au cimetière, les vendre près d’une bouche de métro. Et puis le soir, se promener main dans la main. Sourire enfin, devant une caméra portée à l’épaule. Le mouvement comme signe d’espoir de jours meilleurs. La bande son s’électrise du Chance de Joy Division. Le cœur s’allège. Mais c’est passager. Aux abords des chantiers, on ramasse les immigrés, toutes nationalités confondues, dans des camions bâchés. Direction travail au noir. Dernier plan long sur la route et puis l’écran noir. Une voix off qui s’éteint. On songe que le noir est en Occident la couleur du deuil, premier pas vers l’oubli. On aurait préféré conclure sur le sourire de Blandine plutôt que sur cet écran, tombeau de l’œil.

La Blessure

Un film de Nicolas Klotz
France, 2003
Avec Noëlla Mobassa, Adama Doumbia, Matty Djambo...
Durée : 2h40
Sortie en salles France : 6 avril 2005

[Illustration : La Blessure. Photo © Shellac]

Laure Naimski