La sardine du Cannibale, éditions Arcane 17,15 euros.
D’un côté Majid, un Sénégalais, trentenaire, battant, arrivé à Paris en 2003, avec l’espoir d’y trouver un emploi. De l’autre côté, Magic, affamé, épuisé par le travail au noir et le chantage de ses patrons. Ce récit à deux têtes, c’est celui de Majid Bâ, sans-papier déterminé, travailleur acharné, régularisé en 2009 après avoir épuisé l’éventail des recours possibles. Dans son journal, compilé méticuleusement depuis ses permiers mois en France, il raconte six années de galère et d’attente.
Quelle est votre situation aujourd’hui ? J’ai un titre de séjour d’un an renouvelable. Je suis assistant d’éducation dans un lycée à Saint-Ouen. J’ai le sentiment de comprendre ces jeunes issus majoritairement de l’immigration. Et puis je suis engagée politiquement, au conseil de quartier de Montmartre. J’adore le contact avec ces personnes venues de tous horizons.
Racontez-nous la genèse du livre.
J’ai toujours aimé écrire, je tiens ça de mon père. L’idée est venue dès mon arrivée en France en 2003, dès l’entretien avec mon premier patron. Le deuxième déclic, c’est quand mon visa a expiré. Je me suis dit : « Majid, demain c’est foutu, là va commencer ta vie de clandestin. Il faut que tu commences à écrire, tu dois raconter ce que tu vas vivre ».
Vous avez continué à écrire pendant les années de galère ?
L’écriture m’a beaucoup aidé, c’était mon compagnon. J’écrivais à la main, toujours la nuit, je notais les dates. Chaque fois que je changeais d’hôtel, de chambre, j’emmenais mes classeurs. Je pouvais tout perdre mais mon manuscrit c’était ma vie. Je me sentais fort quand j’écrivais, c’était une forme de thérapie, le seul moment où je me sentais moi-même. Le soir, j’écrivais tout ce que j’avais souffert la journée. Ensuite, j’étais bien. J’imaginais qu’un jour ça servirait…
Dans le livre, il y a Magic, le sans-papier exploité, et il y a Majid, le trentenaire optimiste et bien entouré. Cette dualité, l’avez-vous réellement vécue ?
Oui ! Elle est arrivée le jour où mon patron m’a appelé Magic, où il voulait que je perde mon identité. J’ai vraiment vécu ce double personnage au quotidien. Dès que je sortais dans la rue, ce n’était plus moi. Le Magic exploité, dépersonnalisé, je le portais en moi mais je le refusais. Il représente les sans-papiers, la souffrance, la famine. Le « je », heureux, entouré d’amis, c’est moi. Encore aujourd’hui, il m’arrive d’avoir ce double, le personnage est resté mais c’est devenu un jeu.
Comment avez-vous tenu le coup pendant cette période difficile ?
Quand j’étais à terre, je me disais tout le temps que je devais trouver la force de me battre. Tant que je n’étais pas expulsé, il y avait une chance pour que ça marche. J’avais pas besoin de pitié, je ne voulais pas être un bon à rien. Ma mère avait mis tous ses espoirs sur moi. Jamais je n’ai cessé d’y croire.
Au début du livre,vous dites tomber amoureux de la France. Avez-vous un jour cessé de l’être ?
C’est un système que j’ai détesté, ce n’est ni le pays, ni les Français. D’ailleurs, encore maintenant, je garde en moi de la colère contre ce système. Je continue à me battre. A travers ce livre, je tiens à montrer le vécu des sans-papiers, cette réalité, ce quotidien que personne ne connait. Et puis, je me suis investi dans la politique locale, notamment en créant une commission, dans le 18e, pour l’accueil et l’accompagnement des étrangers.
Vous posez vous-même la question à la fin du livre : tout cela valait-il la peine ?
Oui et je l’ai toujours pensé. J’aurai aimé rester chez moi, avec ma famille, mes amis. J’avais jamais rêvé d’Europe. J’adore mon pays mais après deux ans de chômage, je n’avais plus le choix. Je suis parti car j’avais de l’espoir. La terre est ronde, pour moi il n’y a pas de frontières. Aujourd’hui, je peux dire que je me sens citoyen français, même si je n’en ai pas les droits.
La sardine du cannibale. Pourquoi ce titre ?
J’aime beaucoup ce choix. La sardine c’est moi et le cannibale c’est le système qui dévore un pauvre mec immigré. Est-ce que le cannibal avait vraiment besoin de bouffer la sardine ? C’était juste une petite sardine, pas un requin.