Les invités de mon père

Le soleil (Canada) / Anne Le Ny : loin du jugement


Le grand-père de la cinéaste était dans la Résistance. Il est mort en déportation.
 

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Le Soleil

(Paris) La réalisatrice Anne Le Ny ne fait pas du cinéma pour dire au public quoi penser. De la même façon s’abstient-elle de porter un jugement sur les personnages de son film Les invités de mon père, où elle traite des répercussions du mariage blanc d’un octogénaire sur ses deux enfants.

« Il était important que chaque personnage puisse être défendu, que ce soit le parent ou les enfants », avoue en entrevue à Paris la cinéaste, au sujet des protagonistes de ce second long-métrage (après Ceux qui restent, en 2007, avec Emmanuelle Devos et Vincent Lindon).

Cette histoire d’un contestataire gauchiste vieillissant (Michel Aumont) qui s’amourache d’une sans-papiers moldave, An-ne Le Ny l’a vécue indirectement à travers celle d’un vieil oncle communiste tombé follement amoureux d’une jeune Française sur le RMI (revenu minimum garanti) au point de vouloir déshériter ses enfants (Karin Viard et Fabrice Luchini).

« J’avais été très étonnée de voir que mes cousins plus âgés que moi avaient été bouleversés par cette histoire, explique-t-elle. À la mort de mon propre père, je me suis rendu compte ce qu’impliquait le poids de la transmission. La question de l’héritage et de l’argent est extrêmement symbolique. En cela, déposséder ses enfants est une chose terrible à leur faire. »

La cinéaste et actrice (on l’a vue dans une vingtaine de films, dont Le goût des autres) refuse de porter un jugement sur le personnage de Tatiana (Veronica Novak), ne la voyant ni comme une victime ni comme une profiteuse. « Elle n’est pas là pour l’argent. Elle n’est pas venue chercher un vieux plein de fric. C’est quel-qu’un de pragmatique. Elle est dans une problématique de survie. Elle doit se battre pour que sa fille puisse avoir un meilleur avenir. »

Dans ce contexte, elle comprend les réactions émotives de Babette (Viard) et d’Arnaud (Luchini) face à son arrivée dans leur vie. Alors que la fille voit « la statue du père héroïque vaciller », le fils, lui, écrasé depuis toujours par cette figure d’autorité, se donne enfin la permission de l’aimer.

La délation : sujet tabou

Mais avant d’en arriver là, la tentation aura été forte pour les deux enfants de dénoncer la sans-papiers. Sujet tabou s’il en est un en France, 65 ans après Pétain et l’Occupation. Le grand-père de la cinéaste était dans la Résistance. Il est mort en déportation. Elle a appris beaucoup plus tard qu’il avait été dénoncé par un adolescent de 16 ans, membre de son réseau, dont les aveux avaient été obtenus sous la torture. « La dénonciation est un péché capital. Ça m’apparaît toujours intéressant de prendre un acte horrible et de le mettre dans une autre perspective. Ça amène une reconsidération des choses. »

Les personnages défendus par Viard et Luchini doivent être vus à travers ce prisme, convient la cinéaste. « Tout le monde est animé de bonnes intentions. Les enfants ne sont pas d’horribles bourgeois racistes. Ils se demandent seulement à quel moment intervenir pour éviter que leur père coure à la catastrophe. »

Au sujet du choix de la Moldavie comme patrie d’origine de la mère sans papier, la cinéaste l’explique par un souci de rendre le scénario plus crédible et contourner quelque peu la question raciste propre aux pays d’Afrique ou du Maghreb.

« La Moldavie est l’un des pays les plus pauvres et les plus mafieux d’Europe. C’est aussi l’un des plus gros vendeurs d’armes. Ce n’est pas le pays idéal pour élever un enfant. Les probabilités que les gamins finissent sur le trottoir sont élevées. S’il y a dénonciation à la préfecture [pour une sans-papiers moldave], c’est sûr que les policiers vont y regarder à deux fois. »

 

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