Les Echos : « Monsieur Lazhar » : Instituteur et sans-papiers

Dans cette école primaire du Québec, la foudre s’abat un matin sans prévenir : un gamin découvre sa jeune maîtresse pendue dans sa salle de classe. Quand Monsieur Lazhar se présente dans l’établissement encore sous le choc, la directrice l’accueille comme le Messie et n’hésite pas longtemps : cet homme, dont elle sait juste qu’il était déjà instituteur en Algérie, est immédiatement disponible. Il remplacera la disparue. Au pied-levé. Aussitôt dit, aussitôt fait.
Exigeant, bourré de principes à l’ancienne et adepte d’une discipline à l’évidence plus stricte que celle que connaissaient ses petits élèves, Bachir Lazhar se heurte très vite à leurs sarcasmes. Voire à leur hostilité. Ses dictées sont trop difficiles, ses références littéraires sibyllines et, de toutes façons, l’ombre de la suicidée, qui continue de planer sur la classe, s’interpose sans cesse entre les enfants et lui. Pourtant, petit à petit, sans élever la voix, Bachir, malgré l’hostilité de la psychologue de service, commence à gagner leur confiance. Il abandonne Balzac, qui ne leur dit rien, pour Jack London, qu’une gamine lui fait lire et découvrir. Il apprend à marcher dans la cour sans glisser sur la neige, désamorce lentement la méfiance des parents et commence à se faire apprécier de ses collègues. On le pressent : cet homme toujours seul dont personne ne connaît le passé et qui n’en parle jamais possède au fond de lui des trésors d’empathie face aux gosses rongés par le drame. Il sait, mieux que tous les autres, trouver les mots pour exorciser l’angoisse. On finira par comprendre pourquoi : monsieur Lazhar a connu, lui aussi, un atroce traumatisme. Et il est, peut-être, en train de trouver à l’école le havre qui pourrait l’apaiser. Mais, hélas, au Canada comme en France, le malheur n’absout rien, et surtout pas l’absence de papiers en règles, quand l’administration se met en branle…

MON AVIS

Ce film à la fois minimaliste et émouvant est le quatrième du réalisateur-scénariste Philippe Falardeau, remarqué dès son coup d’essai, « La moitié gauche du frigo », et dont j’avais aussi beaucoup aimé, en 2006, l’original « Congorama ». Couvert de prix dans son pays mais aussi dans plusieurs festivals internationaux, « Monsieur Lazhar apporte un vibrant message de tolérance et d’ouverture aux autres et consacre, dans un rôle que l’on dirait écrit pour lui, un comédien algérien encore trop peu connu malgré ses remarquables « one-man-shows » : Fellag. Naguère interprète drôlatique de ces jeunes qui passent leurs journées à « tenir les murs » de l’autre côté de la Méditerranée faute de travail, il est ici remarquable. On peut le retrouver sur la scène du Théâtre du Rond-Point où il s’installe ces jours-ci dans un nouveau spectacle, « Petit choc de civilisations », dans le droit fil de ce beau film pudique et grave, qui peut aussi accompagner les réflexions sur l’école d’actualité cette rentrée.

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