Les Inrocks : « Un roi clandestin », le livre-témoignage de Fahim, sans-papiers sauvé par les échecs


Sans-papiers et à la rue, Fahim était presque mat. En remportant le championnat de France d’échecs des moins de 12 ans il y a deux ans, il a réussi à renverser une partie mal engagée. Il témoigne aujourd’hui de son incroyable aventure dans “Un roi clandestin”. “Avec ce livre, j’espère aider d’autres personnes.”
 

par Christophe Mollo

“Nous partons. Mon père et moi, seuls. Nous sommes le 2 septembre 2008, le jour le plus horrible de ma vie. J’ai huit ans. J’ai tout perdu. Ma vie est finie.” Fahim et son père, Nura, fuient le Bangladesh. Jeune génie des échecs, Fahim risque d’y être kidnappé suite aux activités politiques de son père. Le jeune garçon laisse derrière lui sa mère, une grande sœur et un petit frère. “Un arrachement, une douleur”, nous dira Sophie Le Callennec, qui a recueilli le témoignage de Fahim pour écrire Un roi clandestin.

Le 17 octobre 2008, après être passés par Rome et Budapest, Fahim et Nura descendent d’un car, porte de Bagnolet à Paris. Trois ans et demi durant, sans papiers, d’hôtels en foyers, parfois à la rue, ils vont vivre l’existence précaire des demandeurs d’asile. A Créteil, France Terre d’Asile et de simples citoyens vont leur venir en aide.

“Des capacités exceptionnelles de calcul”

Parmi ces personnes révoltées par le sort qui est fait à Fahim et son père, Xavier Parmentier, entraîneur d’échecs de haut niveau. Il décèle très vite le potentiel du jeune prodige.

“Je me souviens avec émotion de ces premières parties (…). D’incroyables facultés de concentration, des capacités exceptionnelles de calcul, de perception géométrique de l’espace et de mémoire lui permettaient d’imaginer de multiples variantes, de combiner nombre de coups à l’avance et de se projeter loin dans le futur. Une incroyable vision mentale du jeu pour un si petit bonhomme”, témoigne-t-il dans l’une de ses interventions qui émaillent l’ouvrage.

Pour écrire Un roi clandestin – récit sans pathos, au plus près du réel – Sophie Le Callenec, anthropologue de formation, s’est entretenue avec Fahim et Nura et a croisé ses infos avec d’autres intervenants. “D’une nature réservée et pudique (…), Fahim ne se livre pas toujours spontanément. Certains jours, il ne répondait que par oui ou par non.” D’ailleurs, Fahim, qui est le narrateur du livre, “l’a lu très attentivement” avant sa publication et a demandé que certains éléments en soient retranchés.

Si Sophie connaissait Xavier et Nura – elle a donné des cours de français à ce dernier –, l’idée du livre vient de la maison d’édition Les Arènes. En avril 2012,Le Parisien etLes Inrocks* consacrent chacun un article à “Fahim, 11 ans, sans-papiers et champion de France d’échecs”, mais c’est l’émission de Thierry Ardisson, Salut les Terriens, en mai de la même année, qui va déclencher l’intérêt de l’éditeur.

Bientôt un film

Télés (La Nouvelle Edition, On n’est pas couchés, etc.), radios (RTL), presse écrite, la ruée médiatique n’émeut guère Fahim. “Il est d’une modestie naturelle qui n’est nullement feinte et est toujours étonné quand des gens le reconnaissent dans la rue. Ce qui compte pour lui, c’est que son histoire éveille les consciences”, explique Sophie. Fahim confirme : “Je ne suis pas une célébrité. Avec ce livre, j’espère aider d’autres personnes. Que cela n’arrive pas à d’autres.” Il n’y a pas que la presse et l’édition qui s’intéressent à son histoire. Les droits du livre ont été vendus au cinéma. Un film, coscénarisé par Xavier Parmentier et Pascal Elbé, avec Daniel Auteuil derrière la caméra et dans le rôle de Xavier, est en préparation.

Bonjour Monsieur Fillon, bonjour France Inter. La France a découvert hier que son champion d’échecs des moins de douze ans est un jeune Bangladais en situation irrégulière depuis 2008. De ce fait, il ne peut pas participer aux championnats internationaux.” Marion, l’auditrice qui a passé ce coup de fil le 4 mai 2012, a fait basculer le destin de Fahim et de son père : quelques jours plus tard, ils obtiennent une autorisation de séjour. “Je redeviens une personne normale”, dit Fahim en conclusion d’Un roi clandestin. Aujourd’hui, il compte s’adresser directement à François Hollande et Manuel Valls pour obtenir la nationalité française. Aujourd’hui, cela fait cinq ans qu’il n’a revu ni son frère ni sa sœur. Ni sa mère.

* Outre cet article, un autre journaliste des Inrocks et sa compagne sont très concrètement venus en aide à Fahim et son père.

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