« Les Mohamed », de Jérôme Ruillier.

Les visages bouleversants de l’immigration

 



Il y avait quelque chose dans l’air... ça revenait par vagues, inlassablement...Il faut toujours des boucs émissaires... pour réveiller en nous ce qu’il y a de pire... » Ainsi commence « Les Mohamed », l’album de Jérôme Ruillier, qui tombe à point nommé pour rappeler quelques réalités historiques sur l’immigration maghrébine en France. Salutaire, en plein débat sur la laïcité, alors que l’islam est une nouvelle fois montré du doigt et qu’une partie de la droite reprend sans vergogne les thèses du Front National. C’est l’adaptation en bande dessinée de « Mémoires d’immigrés », le documentaire « coup-de-poing » de Yamina Benguigui, en livre et en film, qui fit sensation dans les années 90.

La réalisatrice n’a pas hésité une seconde à soutenir le dessein de l’auteur de BD : « Parce que je mesure l’impact pédagogique de la bande dessinée, j’ai la conviction que ce projet est un pas en avant dans l’enracinement de cette composante de la société française (...), une nouvelle empreinte aux confins de nos mémoires et de notre inconscient collectif », écrit-elle dans la préface.

« Les Mohamed » reconstitue l’histoire de l’immigration maghrébine en France à à travers une série de portraits touchants, poignants, bouleversants même, de ces hommes qui durent se déraciner pour trouver du travail, de leurs épouses qui finirent par les rejoindre, souvent au bout de très longues années, et de leurs enfants, nés ici, mais au moins aussi déboussolés.

On découvre l’histoire de Khémaïs, débarqué à 22 ans pour être OS chez Renault, d’Abdel, l’ouvrier agricole marocain devenu mineur à Douai, de Yamina, venue rejoindre un mari qu’elle avait été forcée d’épouser, mais qui finira par s’émanciper. Et celle, peut-être la plus poignante, de Djamila, restée au pays pendant ses 23 premières années de mariage, venue enfin rejoindre son mari qui vivait au fond d’un parking parisien.

Le point commun entre tous ces parcours : une extraordinaire dignité, malgré la misère, la souffrance et les humiliations, que Jérôme Ruillier a su retranscrire avec simplicité.

Yamina Benguigui en a été la première bouleversée : « Lorsque j’ai vu jaillir sous mes yeux ces magnifiques dessins aux traits de crayon si poétiques, ces personnages avec leurs petites moustaches, j’en fus émue aux larmes. Cette bande dessinée faisait perdurer ces portraits, elle leur redonnait vie ». Comme elle, on espère que ce livre ira maintenant sur les bancs de l’école, « de mains en mains, afin que ce chemin de la parole ne s’arrête jamais ».

« Les Mohamed » par Jérôme Ruillier.

Ed. Sarbacane. 25€.

 

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