Festival du Film d’Oran

« Les Oubliés de l’histoire » , de Hassan Benjelloun


 

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM ARABE D’ORAN

Pour un cinéma utile

20 Décembre 2010

Le réalisateur marocain, avec Les Oubliés de l’histoire, tient un film humainement puissant.

Oran continue dans son sillage à abriter la quatrième édition du Festival international du film arabe dans un concept redéfini. Moins d’invités cette année et, surtout une participation égyptienne réduite. Parmi les treize films en compétition, celui projeté dans l’après-midi de samedi dernier sort du lot. Une fiction tournée à la manière d’un documentaire avec réalisme et force descriptive. Un film qui porte à la fois le désespoir de la jeunesse dans les pays du Sud et l’exploitation sexuelle des femmes dans le monde.
C’est l’histoire de trois jeunes filles marocaines qui décident de se rendre en Belgique, soit pour fuir la misère, la foudre des parents ou pour réaliser leur projet et accéder à une vie meilleure. Là-bas, elles se retrouvent otages, séquestrées, leurs passeports confisqués, elles sont poussées à verser dans la prostitution.
Yamna fuira sa famille par peur de lynchage lors de son jour de noces car non vierge, Nawal croit devenir libraire à Bruxelles. Yamna veut aussi retrouver son amoureux Azouz qui trime sur un chantier pour des clopinettes et partage une chambre avec un collègue de travail dans des conditions inadmissibles. Prostitution, inégalités, immigration clandestine tels sont les thèmes abordés dans ce film de façon frontale et sans ambages. Cruel, le film dénonce aussi la complicité muette des autorités qui ferment les yeux sur le marchandage de ces femmes, la prostitution étant légalisée en Belgique.
Dur réalité que ce soit pour ces femmes ou ces hommes, qui, d’une certaine manière, dira un des personnages du film, sont amenées à se prostituer en besognant jour et nuit comme des esclaves. Abusées, ces femmes tombent ainsi dans un réseau de prostitution aux méthodes ignobles. Le film lève le voile sur ces procédés qui incitent la plus récalcitrante à obéir. Inspiré de faits réels, le film du réalisateur marocain Hassen Benjelloun est un réquisitoire sur la traite des femmes issues du tiers-monde mais aussi des pays tels l’Ukraine, la Tunisie, l’Allemagne, etc. Ce film dénonce ainsi l’asservissement sexuel des femmes mais porte aussi un regard sévère sur leurs désillusions.
Le réalisateur a voulu s’adresser au monde entier mais a choisi Bruxelles car étant la capitale de l’Union européenne avec tout ce qu’elle dénote comme neutralité politique. « Le sexe n’est pas gratuit », dira-t-il pour répondre lors du débat, à une question d’un journaliste. Et de renchérir : « On ne pouvait pas aborder un tel sujet sans le montrer. Je pense que je l’ai dépassé en évoquant des situations plus monstrueuses telles ces scènes expressives. En tant qu’être humain on ne peut oublier la souffrance de ces filles. »
Si le rythme du film était lent par moment, le réalisateur l’expliquera par son désir de faire comprendre que ces dérives sont liées « à l’injustice, l’intolérance et l’absence de démocratie dans certains pays arabes et c’est cette injustice qui pousse les jeunes à partir ».
Le réalisateur soutient qu’il ne cherche pas à trouver des solutions car n’étant pas un intellectuel, mais un pseudo intellectuel qui a la chance de s’exprimer par l’image. « J’essaie de casser les tabous en m’intéressant aux préoccupations de ma société. Je n’ai pas de message à faire passer. Je veux chatouiller la réflexion de l’homme. Ce sont véritablement des oubliés de l’histoire, il faut appuyer là-dessus. » A propos du tournage du film réalisé en partie dans un quartier chaud de Bruxelles, le réalisateur dira que c’était merveilleux car n’ayant pas trouvé de difficultés à le faire, bien au contraire, il est tombé sur des gens bénévoles qui l’ont aidé avouant même qu’aucun Belge avant lui n’a pu tourner dans cet endroit. Même la police belge ne lui a pas demandé l’autorisation pour ce tournage, c’est la raison pour laquelle il a choisi un pays européen pour y faire son film. A propos de son rôle dans ce film, à savoir, la comédienne Amel Setta dira pour sa part ne pas avoir eu d’appréhension à jouer, après la lecture du scénario.
« Je me suis sentie remplie d’une mission comme une ambassadrice de ces filles séquestrées, malmenées, car le sujet était audacieux, j’ai voulu en savoir plus. C’était un poids lourd sur mes épaules mais important. C’est un film qui s’adresse aussi bien aux femmes qu’aux hommes tout en relevant d’un aspect politique. »
De son côté, le réalisateur fera remarquer avoir eu peur que celle qui jouait Yamna ne sorte pas indemne de son personnage car elle était très fragile émotionnellement et se demandait ce que ses parents et proches allaient penser d’elle. « Pour la préparer, j’ai juste eu à lui dire une phrase : ´´Ton rôle est patriotique´´. » Notons que le film Les Oubliés de l’histoire a été projeté durant trois mois au Maroc et a eu un franc succès, notamment parmi les critiques. Seul bémol à nos yeux, la fin qui se veut trop facile pour un film d’une telle complexité. Car, au-delà de la dénonciation sociale, le politique n’est pas épargné. Dans Les Oubliés de l’histoire, l’ambassadeur marocain en Belgique refuse de se mêler de cette affaire car dira-t-il : « Je préfère garder de bons rapports diplomatiques avec le pays. » Autrement dit, fermer les yeux pour ne pas voir, boucher ses oreilles pour ne pas entendre et fermer sa bouche pour ne pas parler. « J’ai laissé une fin ouverte car j’aurai voulu faire des scènes de course poursuite avec les flics mais on ne sait pas le faire comme les Américains ! » Et de conclure par ces termes : « J’ai aussi voulu donner à la figure du Marocain et par extension de l’Arabe, celle de la tolérance en pardonnant à celle qu’il aime malgré le fait qu’elle se prostitue. » Film émouvant, viscéralement prenant et tragique, un rien moralisateur avec une pointe d’humour tout de même, il a le mérite de toucher du doigt là où cela fait mal.
Le film se termine au générique par ces filles qui, comme dans un documentaire, racontent leurs conditions de mal-vie et les raisons qui les ont amenées à se prostituer. Le réalisateur a laissé libre cours à ses comédiennes tout en veillant à la cohérence de son scénario. Un choix de narration qui crédibilise davantage son film.
La figure de l’immigré clandestin Azouz, qui se veut un peu effacé du cadre, ne peut être fortuite, car tout comme ces milliers d’immigrés sans papiers, Azouz doit se faire tout petit jusqu’à s’annihiler et se fondre dans le hors-champ. Un film « utile », humainement puissant qui, pour information, sera bientôt distribué en Algérie par Cirta Film, a tenu à témoigner le réalisateur. Bonne nouvelle donc.

De notre envoyée spéciale à Oran O. HIND

 

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