"Les ressorts sociaux de l’indignation militante. L’engagement au sein d’un collectif départemental du Réseau éducation sans frontière", de Lilian Mathieu

Les enseignants et parents d’élèves qui s’engagent au sein du Réseau éducation sans frontière (RESF) entendent exprimer leur indignation devant le sort que l’État français réserve aux enfants et jeunes scolarisés étrangers en situation irrégulière. Cette indignation ne peut être posée en principe d’explication de l’engagement, mais doit elle-même faire l’objet d’une analyse. C’est ce qu’entreprend l’article, sur la base d’une enquête par observations et entretiens auprès de militants d’un collectif RESF d’un département de province. Il montre tout d’abord que les ressorts sociaux de l’indignation sont à rechercher dans la trajectoire et la socialisation des agents, qui les a dotés de dispositions critiques, d’appétences protestataires et d’une sensibilité aux enjeux scolaires et de discriminations, qu’ils ont transposées dans leur engagement au sein de ce collectif. L’attachement à une école à laquelle ils doivent leur ascension sociale, une humeur critique issue d’un rejet précoce de leur éducation religieuse, l’influence de modèles familiaux de désobéissance ou encore une expérience douloureuse de l’altérité marquent ainsi les trajectoires de bon nombre de ces militants. L’article montre ensuite que l’indignation connaît des expressions différenciées selon les modes d’entrée dans la cause (perçue en termes généraux ou incarnée dans des personnes identifiées) et le degré préalable de compétence militante. Il montre enfin comment la poursuite de l’engagement au sein du réseau suppose un travail émotionnel spécifique, composante majeure de l’apprentissage militant.

Plan

  • Les ressorts sociobiographiques de l’engagement
  • Un recrutement à dominante éducative et féminine
  • Les effets de la socialisation familiale
  • Une défiance à l’égard de l’institution religieuse
  • Des expériences marquantes
  • Différentes modalités d’engagement
  • Une entrée par le général
  • Une rencontre du singulier en terreau favorable
  • Efficacité et limites de l’entrée par le singulier
  • Parcours militants et travail émotionnel
  • Division du travail militant et gestion des émotions
  • Parcours et apprentissages
  • Conclusion

 

Aperçu

Les émotions sont depuis peu redevenues une dimension privilégiée de la sociologie politique (e.g. Marcus, 2008), et spécialement de l’étude du militantisme et des mouvements sociaux. « Redevenues », car c’est en prenant le contre-pied du postulat d’irrationalité des mobilisations collectives de l’ancienne psychologie des foules, et par extension en refusant toute prise en compte des états affectifs des contestataires, que ce domaine de recherche s’est constitué à partir de la fin des années 1960. Dans le sillage d’Olson (1978) et de son présupposé de rationalité de l’action protestataire, les analystes ont le plus souvent pris soin d’écarter les affects de leurs modèles. Si cette attitude a indéniablement contribué à asseoir la scientificité de ce domaine de recherche, elle s’est révélée au fil du temps de plus en plus intenable et a conduit certains des spécialistes les plus éminents à redonner toute leur place à des émotions telles que la colère, l’indignation ou la peur dans la gen (...)

Pour citer cet article

Référence électronique

Lilian Mathieu, « Les ressorts sociaux de l’indignation militante. », Sociologie [En ligne], N°3, vol. 1 | 2010, mis en ligne le 21 octobre 2010, Consulté le 23 octobre 2010. URL : http://sociologie.revues.org/587

Auteur

Lilian Mathieu

lmathieu@ens-lyon.frDirecteur de recherche cnrs – Groupe de recherche sur la socialisation – ens de Lyon - 15, parvis Descartes - bp 7000 – 69342 Lyon Cedex 07

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