Aux côtés de RESF 51, 65, 92 et avec l’association « Tous Citoyens 06 », RESF 06, engagé dans le soutien des MNA, a été auditionné à Paris, en avril 2024, par la Mission Parlementaire d’Information sur les MNA.
Contenu de notre intervention :
Département 06 : spécificités
1 La situation au poste frontière de Menton Garavan. Août 2023
De nombreux jeunes se déclarant mineurs sont refoulés en Italie de façon totalement illégale, parfois uniquement au faciès, alors qu’ils et elles doivent être admis systématiquement et sans délai sur le territoire français. C’est à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), service du Département 06, de procéder ensuite à leur évaluation de minorité, et non aux forces de l’ordre. Or ces jeunes sont refoulés par la police sans évaluation préalable par l’ASE. De nombreux témoignages font état de fausses dates de naissance enregistrées par les policiers pour justifier ces refoulements. De plus des mineurs sont refoulés avec une Obligation de Quitter le Territoire Français et une Interdiction de Retour sur le Territoire Français sans être informés de leurs droits, ce qui rend toute contestation très difficile et constitue une atteinte grave à leurs droits.
Comme en avril dernier, des mineurs sont enfermés dans les locaux de la Police Aux Frontières (PAF) dans l’attente que le Département 06 vienne les chercher. 68 mineurs étaient enfermés ce lundi 21 août, dans des locaux totalement inadaptés et dans des conditions sanitaires déplorables : en pleine canicule, entassés, dormant à même le sol avec uniquement un lavabo et un WC. Ils et elles étaient jusqu’à 78 le 23 août ! Plusieurs mineurs ont été privés de liberté durant 3 à 5 jours ce qui constitue une violation manifeste de la convention internationale des droits de l’enfant dont la France est signataire. Ils ne bénéficiaient pas d’une permanence juridique ou d’un traducteur.
Depuis cette année, des agents de l’ASE présents à Menton voient les jeunes dans un bureau pour une appréciation de minorité (entretien de 30 à 40 min), ce qui est permis par l’avenant de 2021 au protocole d’accord signé en 2019 entre les services de l’état, l’autorité judiciaire et le conseil départemental relatif à la prise en charge des mineurs non accompagnés étrangers présents sur le département des Alpes Maritimes.
Or cette appréciation de minorité n’est pas une véritable évaluation puisqu’elle n’intervient pas dans le cadre d’une mise à l’abri et après une période de répit. Cette appréciation se solde souvent par une non reconnaissance de minorité et une OQTF. 6 jeunes ont contesté ces OQTF au TA avec nos avocates et ont tous gagné. Mais bien sûr, nous ne voyons qu’une petite partie des jeunes victimes de ces situations, certains sont refoulés en Italie, et d’autres continuent leur errance sur le territoire français sans être informés de leurs droits.
2 La situation au 31 Aout 2023 au Commissariat Auvare :
Seul endroit à Nice pour la demande de mise à l’abri des jeunes, selon le protocole de 2019 avec avenant en 2021.
115 jeunes ont subi un refus de guichet et ont dormi plusieurs jours dans la rue.
L’attente à l’intérieur du commissariat avant d’être pris en charge par l’ASE peut également être très longue, jusqu’à 24h sans que le jeune ait la possibilité de dormir ou de manger.
La situation des Mineurs Non Accompagnés (MNA) à Nice est catastrophique : tout jeune qui souhaite demander la protection de l’enfance doit se rendre au commissariat Auvare à Nice. Or ce commissariat, saturé, refuse de faire entrer les jeunes exilés en leur disant de revenir le lendemain.
Une trentaine de jeunes dorment à la rue dans des conditions sanitaires déplorables : sans eau, sans nourriture, sans duvet, sans sanitaires ni douches. Plusieurs associations et des habitants du quartier leur viennent en aide et tentent de pallier les carences des pouvoirs publics.
Depuis mi-août :
– 115 jeunes connus par les associations ont subi un refus de guichet au commissariat. Ils doivent être en réalité beaucoup plus nombreux.
– 25 jeunes seulement, sur ces 115, ont été pris en charge grâces aux informations préoccupantes envoyées, aux recours au tribunal administratif et au tribunal pour enfants. Les recours au tribunal pour enfants viennent de permettre la mise à l’abri de 14 de ces 25 jeunes.
Nous sommes sans nouvelle de nombreux jeunes dont une grande partie, faute de prise en charge par les pouvoirs publics, ont vraisemblablement repris leur errance.
Les différentes institutions se renvoient la balle, or elles doivent agir :
– Nous demandons l’arrêt de l’application du protocole d’accord obligeant les jeunes exilés à se rendre au commissariat Auvare. Le Département des Alpes-Maritimes peut, comme d’autres Départements le font en France, ouvrir ses locaux aux MNA primo-arrivants. Un jeune doit pouvoir se rendre dans une Maison des Solidarités Départementales (MSD) et être accueilli par un travailleur social et non par un policier.
– Nous demandons aux différentes institutions, Préfecture, Département et Ville de Nice, de se coordonner et de travailler ensemble, de la même manière qu’elles l’avaient fait pour l’accueil des Ukrainiens. Nous leur demandons d’ouvrir d’urgence des structures d’accueil temporaires pour ces jeunes exilés.
– Le préfet, tant que le Département ne vient pas chercher les MNA dans ses locaux, peut les mettre à l’abri dans les différents commissariats du département et pas seulement à Auvare qui est saturé. Il peut également prendre l’initiative d’ouvrir des structures d’accueil temporaires.
– La prise en charge des MNA est la compétence légale du Département. En plus d’ouvrir des structures d’accueil temporaires, le Département 06 doit au plus vite créer des structures d’accueil pérennes supplémentaires et recruter le personnel qualifié nécessaire.
– Le maire de Nice peut lui aussi ouvrir des structures d’accueil temporaires. Même si l’obligation légale incombe au Département, il peut faire preuve d’humanité et ne pas laisser ces jeunes à la rue.
Les jeunes exilés ont subi des violences dans leur pays d’origine et durant leur migration : coups, sévices, travail forcé, viols, conflits armés, naufrages en méditerranée, etc. Ils ont besoin d’une prise en charge adaptée, de soins et d’un suivi psychologique post-traumatique. Au lieu de cela ils sont, à Nice, laissés à la rue.
Depuis la fin du mois d’Août, qui correspondait à un pic des arrivées, les jeunes ont continué d’attendre devant le commissariat, parfois 1 ou 2 jours, quelques heures s’ils avaient la chance d’arriver pendant une semaine calme. Un nouveau pic important d’arrivées a eu lieu en Décembre 2023.
3 Situation des jeunes MNA en attente de recours ou/et pris en charge par l’ASE
Un point positif important est que la juge des enfants prononce en général une OPP (Ordonnance de Placement Provisoire) lors de la 1ere audience ou juste avant. Elle met le jeune à l’abri le temps des différents recours. Le point négatif est que bien souvent le jeune végète en foyer, l’ASE n’entame aucune démarche de formation, scolarisation ou suivi administratif (demande de passeport, ouverture de compte bancaire) pour lui tant que la juge n’a pas statué. De plus, parfois l’avocat du département fait appel de cette décision d’OPP, et le jeune est déclaré majeur en cours d’appel d’AIX sans bénéficier d’une audience devant la juge des enfants.
4 Conclusion
Pour conclure, et à titre personnel, le travail de terrain et auprès des jeunes de notre association fait ressortir les problématiques suivantes sur lesquelles je souhaiterai insister :
– Pas assez de travail en commun avec l’ASE. Pour le bien des jeunes, l’état, le département, les mairies auraient tout intérêt à travailler main dans la main avec les associations œuvrant sur le terrain. Dans quelques rares départements, ils y arrivent. Un département vient même de signer un protocole « prise en charge des MNA » élaboré conjointement avec le Conseil Départemental, l’ASE et des associations mandatées, travaillant sur le terrain et invitées à participer à l’élaboration de ce protocole.
– Comment donner plus de poids aux familles accueillantes qui jouent un rôle essentiel dans la bonne intégration du jeune dans la société française et qui sont gage d’un soutien affectif, administratif et parfois financier (garants au moment de la location d’un bien par le jeune à 18 ans par exemple). Pourquoi continuer à mettre des bâtons dans les roues à ces jeunes qui ont trouvé une famille d’accueil et de cœur en France ?
– Le fichier national des empreintes est une catastrophe pour les jeunes qui voient toutes les portes de sortie se fermer les unes après les autres et les condamnent à encore plus d’errance sur les routes de France.
– La présomption de minorité doit être replacée au centre et non remise en question, l’acceptation des actes d’état civil après double légalisation et expertise également. Les tests osseux doivent être interdits !
– Du début à la fin de leur parcours, tout n’est qu’une immense loterie pour tous ces jeunes : passage de la frontière, évaluation, tests osseux, audience, réussites des recours ou des appels, délivrance d’un titre de séjour. Il faut absolument arriver à homogénéiser tout cela pour que tous aient les mêmes chances.
– Nous avons tous constaté que les jeunes dont nous nous occupons ont de grandes qualités, de belles valeurs morales et des lignes de conduite irréprochables. Quand ils sont correctement accompagnés, tout leur parcours, depuis leur arrivée jusqu’à l’obtention de leur diplôme et leur intégration dans le monde du travail se déroule sans problème. En général, les patrons ne tarissent pas d’éloges à leur sujet. Et nous non plus !