30 - Gard

Lettre ouverte Alerte sur la situation des Mineur·e·s Non Accompagné·e·s dans le Département du Gard

Destinataires : Madame la Présidente du Conseil Départemental du Gard, Françoise Laurent-Perrigot, Madame la Vice-présidente déléguée à la Protection de l’enfance, à la petite enfance et au soutien à la parentalité, Maryse Giannaccini ; Monsieur le Préfet du Gard, Jérôme Bonet ; Madame la Présidente du Tribunal Judiciaire de Nîmes, Claire Gadat.
Copie aux élu.e.s de la majorité départementale.

Le décès d’Awa, 15 ans, une mineure ivoirienne non accompagnée, dans la nuit du 23 au 24 décembre 2024 à Nîmes a bouleversé ses ami·e·s et les membres de la Coordination Nîmoise des Jeunes Exilé·e·s en Danger (CNJED). L’adolescente était prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et était seule dans un appartement mis à disposition par une maison d’enfants. Une enquête est en cours qui établira les responsabilités. Comment un tel drame a-t-il été possible ? Alors même qu’Awa bénéficiait d’un accompagnement conforme à ce qui est attendu dans le cadre de la Protection de l’enfance, c’est-à-dire une assistance éducative qui devrait être déployée pour tou·te·s les mineur·e·s étranger·e·s isolé·e·s, ce qui n’est pas le cas.
Aussi, nous, associations, bénévoles, collectifs, membres de la société civile, dénonçons, depuis des années, de nombreux dysfonctionnements qui sont observés tout au long de leur parcours administratif et juridique. Dysfonctionnements au niveau de la Protection de l’enfance, mission du Conseil Départemental (CD), des tribunaux pour la Justice, de la Préfecture pour l’Etat, qui cumulés entraînent un parcours chaotique, fait d’échecs successifs, ressemblant à de la maltraitance institutionnelle, à un système de discrimination et de rejet de ces jeunes.
Avec cette lettre ouverte, nous souhaitons vous alerter sur ces dysfonctionnements qui aujourd’hui nous préoccupent plus que jamais.

1) Ce que prévoit la loi : tout·e mineur·e se déclarant isolé·e doit être mis·e à l’abri de façon inconditionnelle (article L221-2-4 du code de l’action sociale et des familles).
-* La réalité : l’ASE exige un document administratif, extrait de naissance original ou copie avant toute mise à l’abri.
-* Les conséquences : en attendant ses documents le/la jeune est laissé·e à la rue sans protection, et ne peut compter que sur l’aide de citoyens solidaires.

2) Ce que prévoit la loi  : une mise à l’abri d’au moins 5 jours est financée par l’Etat pour l’évaluation de la situation du/de la mineur·e, par une équipe pluridisciplinaire, formée spécifiquement, bienveillante, comme le préconise le « Guide et bonnes pratiques en matière d’évaluation de la minorité et de l’isolement » publié en décembre 2019.
-* La réalité : souvent l’évaluation est faite à charge, par une seule personne, sans formation, sans respect de la présomption de minorité, du devoir de protection face à un·e enfant, un·e adolescent·e qui vient de vivre un périple rempli de dangers et qui est désorienté·e.
-* Les conséquences : plus de 50% des mineur·e·s débouté·e·s de leur minorité et de leurs droits sont mis à la rue sans protection ni ressource alternative institutionnelle, y compris de très jeunes filles. Encore récemment, le 16 janvier 2025, une jeune fille de 14 ans et demi a été renvoyée à la rue, du jour au lendemain.

3) Ce que prévoit la loi : pour celles et ceux qui arrivent à faire un recours, le tribunal pour enfants a un rôle de protection et doit se baser sur les documents administratifs fournis par le/la jeune. La présomption de minorité doit prévaloir jusqu’à la décision finale, et l’enfant doit bénéficier d’un placement provisoire (article 47 de la loi n° 2003-1119 du 26 nov. 2003 : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi »).
-* La réalité : la justice laisse souvent les enfants à la rue pendant une durée d’au moins 6 mois, durée d’une expertise documentaire, sans protection et privés de leurs documents d’état civil, donc d’identité.
-* Les conséquences : la situation de ces jeunes est encore pire après leur passage devant le tribunal.

4) Ce que prévoit la loi : les délais de convocation pour une audience et de délibéré se doivent d’être raisonnables.
-* La réalité : qu’est-ce qu’un délai raisonnable quand certain·e·s attendent plus d’un an leur délibéré, et que d’autres deviennent majeur·e·s avant de l’avoir reçu ? Ces recours, à la suite du refus de reconnaissance de minorité par le CD, alourdissent la charge de travail des tribunaux, des magistrat·e·s, des avocat·e·s et coûtent inutilement aux contribuables. Les taux de décision de non-reconnaissance par le Tribunal pour Enfants fluctuent selon les périodes, selon les magistrat·e·s, de 20% environ en 2023 à 60% en 2024, quelles sont les explications ?
-* Les conséquences  : des enfants, des adolescent·e·s en errance, sans papiers d’identité, vulnérables et en danger.

5) Ce que prévoit la loi : un·e mineur·e reconnu·e et confié·e à l’ASE ne devrait pas passer plus de 2 mois en hôtel. Il/elle doit avoir un accompagnement et une prise en charge globale (décrets de la loi Taquet du 16 février 2024).
-* La réalité : l’hébergement à l’hôtel peut durer des mois, sans accompagnement éducatif, sans inscription scolaire, ni formation professionnelle y compris pour les moins de 16 ans.
-* Les conséquences : une attente inutile, une perte de temps, de chance, une entrave à l’intégration même si des citoyens solidaires proposent des cours, des activités, du bénévolat, un soutien moral et humain.

6) Ce que prévoit la loi  : pour celles et ceux qui ont obtenu un placement provisoire de 6 mois et quand le/la juge maintient et confirme le placement, il/elle confie à l’ASE l’autorité parentale avec pour missions de faire établir un passeport, d’inscrire à l’école, de signer le contrat d’apprentissage, d’ouvrir un compte bancaire, toutes missions clairement spécifiées sur le jugement.
-* La réalité : l’ASE refuse d’appliquer le jugement et n’accomplit pas sa mission.
-* Les conséquences : les jeunes arrivent à la majorité sans avoir été préparé·e·s, sans avoir débuté une formation, sans passeport, sans compte en banque, sans réunir les conditions d’acquisition d’un titre de séjour, d’une autorisation de travail, d’un contrat de travail, tous les éléments indispensables à leur parcours de vie et d’intégration à leur majorité.

7) Ce que prévoit la loi : lors du passage à la majorité, le/la jeune dépose une demande de titre de séjour, selon ses modalités d’arrivée en France, cette demande peut être anticipée avant les 18 ans ou durant sa 18ème année. Il doit lui être délivré dans les plus brefs délais un récépissé ou une attestation de prolongation d’instruction (API), durant le temps d’instruction du dossier de demande.
-* La réalité : la Préfecture tarde à délivrer les titres de séjour et n’accorde que des récépissés de quelques mois, à répétition parfois pendant plusieurs années.
-* Les conséquences : les jeunes perdent la possibilité d’un contrat de travail, perdent leur emploi, n’ont plus accès à leurs droits, à un logement… Ils/elles retombent dans la précarité, se retrouvent en situation irrégulière, « sans papiers », avec le risque d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) alors qu’ils/elles avaient rempli leurs obligations : parcours d’apprentissage, respect de la loi, engagement associatif, sportif… Cela conduit inévitablement à une incompréhension et un sentiment d’injustice.

8) Ce que prévoit la loi  : arrivé à la majorité, le/la jeune doit pouvoir être accompagné·e pour trouver un logement, une aide financière, une aide éducative jusqu’à son autonomie, et ce jusqu’à ses 21 ans. Il s’agit du contrat d’Aide au jeune majeur (AJM).
-* La réalité  : certain·e·s sont invité·e·s à se débrouiller, dès le jour de leurs 18 ans, avec leur rémunération d’apprenti·e (moins de 800 €), sans APL (aide au logement) puisque sans titre de séjour, sans logement, sans aide éducative.
-* Les conséquences  : le refus d’AJM alors que le/la jeune n’a pas encore de titre de séjour ou de récépissé entraine la perte de l’hébergement, de l’accompagnement éducatif et la mise en danger de la poursuite de son apprentissage.

Là où les pouvoirs publics sont supposés appliquer les lois et les règlementations pour protéger et accompagner vers une intégration ces jeunes venu·e·s se former, travailler, en apportant leur énergie, leur jeunesse, leur courage, nous constatons que ces mêmes pouvoirs publics dressent des obstacles administratifs qui impactent gravement leur parcours, leur santé, leur équilibre psychique. Comme si réduits à des dossiers, des prix de journée, des numéros, les personnes, leurs droits, leur dignité et leur humanité disparaissaient. Nous avons un devoir de veille à faire respecter la loi, d’alerte, de restauration du respect de ces vies précieuses. Ainsi, après les traumatismes de leur parcours migratoire, leur espoir d’intégration et d’accéder à une vie normale se trouve anéanti : ce sont des vies qui risquent d’être broyées dans leur jeunesse.

Signataires : Les membres de la Coordination Nîmoise des Jeunes Exilé.e.s en Danger.
ACEE Insertion
Ados Sans Frontière
AIDES
Amnesty International
APTI
Asile-Home
Assemblée Solidarité Alès
Association Communauté Camerounaise du Gard
Association des Migrantes et Migrants de France
ATTAC
CCFD – Terre solidaire
CNT
Collectif Migrants Vergèze Codognan
Collectif Travail Social
DAL 30
Défense des Enfants International
Gauche Eco socialiste
La Cimade
La France Insoumise
Ligue des Droits de l’Homme
Réfugiés Bienvenue Nîmes
Réseau Education Sans Frontières 30
SUD Santé Sociaux
Solidaires 30
Trampoline