Migrer au féminin Laurence Roulleau-Berger P.U.F, collection "la Nature humaine"
192 pages, 15 euros |
L’ouvrage
Le migrant aujourd’hui est une figure emblématique des transformations des marchés du travail locaux et globaux. Une tendance forte de la migration de ces dernières années est sa féminisation. Dans un contexte de globalisation économique, les femmes en migration parcourent une diversité de routes migratoires où elles acquièrent des compétences, des expériences, des savoir-faire, mais où elles vivent des épreuves sociales, spatiales et économiques. Elles accèdent à des dispositifs économiques, s’engagent dans des formes d’entreprenariat, de commerce. Les différentes carrières migratoires « par le haut » et « par le bas » rendent compte de la production d’inégalités « multisituées » sur des espaces économiques transnationaux. Les biographies se cosmopolitisent en révélant une nouvelle stratification sociale globalisée.
A propos de l’auteure
Laurence Roulleau-Berger est sociologue, directeur de recherche au CNRS dans le cadre de l’Institut d’Asie Orientale. Ses recherches, à l’articulation de la sociologie économique et de la sociologie urbaine, ont porté sur la question urbaine, le travail et l’emploi des jeunes, plus récemment sur les migrations en Chine et les nouvelles migrations en Europe, enfin sur la sociologie chinoise. Elle a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages dont, aux PUF, Les jeunes et le travail en France : 1950-2000 (avec C. Nicole-Drancourt, 2001), L’insertion des jeunes en France (« Que sais-je ? », 2006) et La rue, miroir des peurs et des solidarités (2004).
06/04/2010 :
Les femmes sont plus nombreuses à émigrer seules
par Brigitte Perucca
Qui sont ces femmes qui constituent la moitié des 214 millions de migrants dans le monde ? Quels sont leurs parcours, leurs aspirations ? Même si le regroupement familial demeure un motif important de déplacement, la migration des femmes s’opère de plus en plus en solo. Telle est l’observation qui ressort non pas des chiffres, très rares sur cet aspect de la migration, mais des études sociologiques.
Dans Migrer au féminin (PUF, 192 pages, 15 euros), à paraître le 16 avril, Laurence Roulleau-Berger, directrice de recherche au CNRS, lève un coin du voile sur les parcours de quelque 187 femmes venues de Chine, d’Afrique subsaharienne et du Maghreb, ou d’Europe centrale et orientale et installées en France depuis moins de dix ans. La sociologue a également interviewé certains de leurs employeurs.
Trait commun à toutes ces femmes, leur migration, assure Mme Roulleau-Berger, témoigne d’une conquête de leur autonomie. Même si les raisons économiques sont assurément à la base de leur départ, "le désir de se réaliser" n’est jamais très loin. "Ces femmes en migration ont décidé de partir pour accéder au "gouvernement d’elles-mêmes"", assure la sociologue, en reprenant une expression du philosophe Michel Foucault.
Leur position sur le marché du travail dépend de leur capacité à parler ou pas la langue du pays d’accueil. "Si elles se trouvent en insécurité linguistique, la première étape sera très souvent de travailler dans une enclave ethnique." Toutes les communautés possèdent l’équivalent de leur "Chinatown" qui distribue le travail dans les entreprises contrôlées par la diaspora, dans le textile ou la restauration.
La "niche ethnique" constitue un pas de plus vers l’intégration. Contrairement aux enclaves, les employeurs sont des nationaux et les populations étrangères y sont mixées entre différentes nationalités et origines, comme dans les entreprises de nettoyage.
"Les employeurs contribuent à la formation de niches ethniques et pluriethniques en favorisant l’embauche de femmes en migration originaires d’un même pays", écrit Mme Roulleau-Berger. Parfois avec des raisonnements à la limite du racisme. "Je me suis retrouvé avec cinquante Laotiennes et quinze Françaises. Alors pourquoi ça a bien marché ? Parce que je pense que les Asiatiques ont une culture de l’entreprise, de la famille, une culture de la qualité (...). Tout ce dont on a besoin, ces gens l’ont en eux (...). Elles sont contentes aussi car je paye à la pièce. Donc, certaines emportent leurs pièces à la maison et elles continuent de les faire le soir", raconte ce patron d’une entreprise de produits pharmaceutiques de Marseille.
DES COMMERÇANTES
Entre les femmes sans papiers, en grande insécurité sociale, celles recrutées dans les services d’aide à la personne (garde d’enfants, soins aux personnes âgées, etc.) dont l’Europe vieillissante a besoin et les femmes très qualifiées qui composent une partie des élites internationales, la sociologue fait également apparaître des commerçantes qui traversent la planète.
A l’image de ces Africaines qui font du commerce de bijoux ou de vêtements qu’elles vont chercher en Arabie saoudite et en Italie et viennent revendre en France ou au Sénégal, ces migrantes "fabriquent de la globalisation et à d’autres moments en sont l’objet", commente la sociologue.
Comme la Sénégalaise Tyffanie : "J’ai commencé à faire des économies pour faire du commerce de produits cosmétiques que nous exportons au Sénégal. Nous les achetons en Italie, aux Etats-Unis et récemment nous avons commencé la vente de bijoux fantaisie que nous achetons en Chine (...). Je voyage beaucoup et je travaille avec d’autres gens, des Sénégalais et d’autres nationalités qui sont sur place dans les pays où je vais, cela facilite mes voyages et mes déplacements pour l’achat de marchandises."
Ces "entreprises ethniques" ne peuvent en effet fonctionner sans des réseaux de ce genre, typiques d’une "mondialisation par le bas" et dont les femmes disposent dans leur pays d’origine. Un capital qui, à défaut d’être sonnant et trébuchant, n’en est pas moins fondamental.
–