« Moi, Mohamed, esclave moderne », de Mohamed Kemigue, avec Djénane Kareh Tager : une vie de sans-papiers


MOI, MOHAMED, ESCLAVE MODERNE de Mohamed Kemigue, avec Djénane Kareh Tager. Plon, 208 pages, 18 €.
 

Ce qu’en dit Le Monde :

Alors que la figure du sans-papiers est presque devenue une icône des luttes sociales, le témoignage de Mohamed Kemigue, un Ivoirien en situation irrégulière de 38 ans, permet d’en apprendre un peu plus sur l’ordinaire de ceux que la CGT soutient.

Ce portrait est toutefois loin des slogans militants. M. Kemigue, grand costaud en jean et polo, le dit à travers la plume de la journaliste Djénane Kareh Tager dès les premières pages : "Faut-il expulser tous les sans-papiers ? Faut-il les régulariser tous ? Là n’est pas l’objet du livre."

 

L’intérêt du témoignage de Mohamed Kemigue réside plutôt dans la description du glissement vers la "transparence". Ce parcours, banal en fait, mais qui conduit des milliers de migrants diplômés à venir en France chaque année avec un visa de tourisme depuis leur Afrique ou Asie natale, puis à rester malgré l’échéance de leur titre de séjour. Ce choix, Mohamed Kemigue l’a fait un jour de juillet 1998 à l’âge de 25 ans. Il était sûr de sa "bonne gueule", bardé "d’espoirs et d’ambitions". Il n’a pas traversé la Méditerranée à bord d’une embarcation de fortune. Il ne fuyait pas un conflit. Mais il rêvait de France, et il est arrivé un matin, une valise à la main, à Paris.

Mohamed découvre alors l’existence tête baissée des sans-papiers. Cette vie avec nom d’emprunt, focalisée sur la quête de la régularisation. Une existence où il faut tout endurer : l’eau glacée des douches des squats, les cafards des appartements loués par les marchands de sommeil, les boulots au noir et les patrons mauvais payeurs.

Le paradoxe de cette vie de clandestin, c’est qu’elle se fait malgré tout avec les attributs de la légalité. Car la longue quête de la régularisation passe par l’accumulation de ce que l’administration appelle des "preuves de vie". Une adresse, des justificatifs de domicile et même des contrats de travail, si possible... Dans cette galère, il y a bien des amis, au début, qui accordent des nuits sur leur canapé. Il y a une cousine, qui prête de l’argent lors d’une tentative ratée pour rejoindre le Royaume-Uni. Mais, très vite, la solitude gagne. Et, dans ce désert, le dernier soutien devient le lien communautaire.

Un aspect souvent méconnu du quotidien des primo-arrivants. M. Kemigue décrit les foyers de travailleurs migrants, véritables "bouillons de compétences" avec autant d’infirmiers que d’électrotechniciens. Il raconte ces "réseaux africains", indispensables pourvoyeurs de tuyaux pour tous ceux qui sont à la recherche d’employeurs peu regardants sur les pièces d’identité.

En même temps, les années passent. Et, malgré cette vie, il y a les rencontres amoureuses. Une femme qui tombe enceinte. Un premier enfant qui naît. Puis un deuxième. Leur scolarité qui commence. Et une vie encore plus tiraillée entre existence légale et illégale. La force de ce témoignage est de dire ce que beaucoup d’étrangers en situation irrégulière ne confessent qu’en privé, de peur que ne soit relativisée leur détresse. Notamment sa "fausse" demande d’asile, faite un jour dans l’espoir d’être régularisé.

La singularité de M. Kemigue est aussi de confesser une certaine distance vis-à-vis des associations. "J’ai compris rapidement qu’elles n’étaient pas la solution." Lui croit au "Dieu des sans-papiers". Celui qui l’a repêché d’un passage en centre de rétention. Celui qu’il prie, pour obtenir, peut-être grâce à ce livre, enfin ses papiers.

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