Mouvement de grève de la faim dans quatre centres de rétention administrative

Par Kim Hullot-Guiot — 18 janvier 2019 à 16:20

La cour du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, près de Roissy. Photo Joël Saget. AFP

Depuis deux semaines, plusieurs dizaines de personnes placées en rétention refusent de manger pour dénoncer les conditions de vie dans les centres du Mesnil-Amelot, de Vincennes, d’Oissel et de Sète, et les expulsions dans des conditions qu’elles jugent abusives, voire illégales.

« Les bâtiments sont mal nettoyés, ça pue, les toilettes
sont bouchées tout le temps. Si tu réclames de la
nourriture, tu es envoyé à l’isolement. On n’en fait
rien de nos journées, il n’y a aucune activité. Ils
nous disent tout le temps : "Si vous n’êtes pas
contents, vous n’aviez qu’à rester chez vous." Ils
nous traitent comme des animaux ! ».
 Abdallah (1),
qui nous téléphone depuis le centre de rétention
administrative (CRA) du Mesnil-Amelot
(Seine-et-Marne), est très remonté. Amer, il liste ses
griefs avec virulence. Depuis début janvier, ce
trentenaire participe à une grève de la faim pour
dénoncer ses conditions de vie dans le CRA où il est
retenu en attendant d’être expulsé ou remis en
liberté.

Nadia Sebtaoui, responsable de la mission rétention pour
France Terre d’asile, qui intervient dans plusieurs
CRA, précise : « L’ambiance est un peu difficile
depuis quelques semaines. 
Ils ont du mal à
supporter les conditions d’incarcération. 
La
grève, c’est une grève des repas servis, ils mangent
quand même ce qui leur est apporté par leurs proches. »

Des dizaines de personnes dans le CRA de Vincennes
(Val-de-Marne) avaient entamé le mouvement début
janvier, bientôt rejointes par des retenus d’Oissel
(Seine-Maritime) et Sète (Hérault).Une
concomitance qui lui donne un caractère assez inédit
bien que rien n’indique qu’il y ait une véritable
coordination entre les centres, selon plusieurs
interlocuteurs associatifs. « Pendant longtemps,
c’était des combats individuels. Ce sont des lieux
où il est très difficile d’organiser des moyens de
résister. Mais ces grèves de la faim vont participer
à la prise de conscience »,
 espère Sarah, qui
rend régulièrement visite à des personnes dans des CRA
d’Ile-de-France.

« On constate, chez des personnes enfermées, une perte de poids significative » 

Habituellement, raconte Abdallah, les policiers « nous réveillent à 7 heures pour
nous donner du café, du sucre et deux petits pains. A midi,
la nourriture est périmée, ils ne la donnent même
pas à leur chien. [Il y a une semaine], on faisait
la grève de la faim, les policiers sont entrés dans
les chambres et ont mis le pain qu’on avait mis de
côté à la poubelle. C’est des bâtards ! » 
Julien,
un bénévole qui rend visite aux personnes en centres
de rétention, nuance : « Je ne peux pas dire que la
nourriture est périmée, mais comme ce sont souvent
des plats de porc et des plats non halal qui sont
servis, et que beaucoup [de retenus] sont musulmans,
la bouffe est insuffisante car ils ne mangent qu’un
repas sur deux. » 
Nicolas Pernet, coordinateur
de l’équipe de la Cimade au CRA du Mesnil-Amelot,
confirme à son tour : « On constate que, très
clairement, chez des personnes enfermées plusieurs
semaines, il y a une perte de poids significative. »

Outre la qualité de la nourriture, l’oisiveté subie du fait
de l’absence d’activité, l’état déplorable de nombreux
sanitaires, déjà pointé par la Contrôleuse générale
des lieux de privation de liberté dans son rapport
d’activité 2017
 (2), les retenus et leurs
soutiens dénoncent des insultes, des brimades, des
humiliations et des violences physiques. En 2017, 27 plaintes
avaient été déposées
 pour des violences
policières rien que sur le centre du Mesnil-Amelot,
selon Streetpress, qui rapportait encore début janvier
la plainte d’un Soudanais retenu lui au centre
d’Oissel et qui affirme y avoir subi « une
véritable séance de torture »
.

« Certains ont été placés à l’isolement juste après avoir commencé la grève… »

« A Vincennes, les violences se passent à la fouille, où
il n’y a pas de caméra. C’est verbal et physique »,
 dénonce
Julien, rapportant des récits de personnes retenues.
La mise à l’isolement serait également utilisée de
manière répressive plutôt que préventive selon lui : « Soi-disant,
c’est fait pour prévenir les tentatives de suicide,
mais certains ont été placés à l’isolement juste
après avoir commencé la grève… » 
Au centre
d’Oissel, où selon Nadia Sebtaoui, « la mise à
l’isolement est assez récurrente », 
les
personnes retenues, lassées de ce qu’elles
considéraient comme des pratiques abusives, ont
elles-mêmes saisi fin 2017 la Contrôleuse générale des
lieux de privation de liberté, qui doit bientôt rendre
un rapport sur la visite qu’elle y a effectuée.

Un autre motif de révolte pour les personnes retenues en
CRA est ce qu’elles et leurs soutiens associatifs
appellent les « vols cachés », vécus comme très
injustes : « Parfois, une personne arrivée au bout
de ses 45 jours de rétention pense qu’elle va sortir
dans quelques heures. Mais en fait elle est expulsée
le matin, très tôt, sans avoir été prévenue. Les
flics viennent en nombre à 4 heures
du matin, en mode "prends tes affaires" »,
rapporte
Julien. Habituellement, les personnes sont prévenues
de leur expulsion à l’avance afin de pouvoir prendre
leurs dispositions (prévenir leurs proches ici et dans
le pays d’origine, par exemple), pas juste avant de
l’être, explique-t-il encore.

« Pour aller à l’infirmerie, tu fais la queue dehors en plein hiver »

Autre problème pointé de façon récurrente par ce mouvement :
le difficile accès aux soins pour les retenus.
Selon Abdallah, « pour aller à l’infirmerie, tu
fais la queue dehors en plein hiver, ils te donnent
juste du Doliprane ». 
Marc, qui rend visite aux
retenus dans différents CRA d’Ile-de-France, ne dit
pas autre chose : « L’infirmerie n’étant ouverte
qu’une fois par jour, certaines personnes ont mal
accès à leur traitement, notamment concernant les
hépatites ou les traitements psychiatriques. Les
infrastructures ne sont pas du tout faites pour
gérer les situations de personnes en crise
psychologique. Elles sont isolées ou battues
lorsqu’elles font des crises. »

De son côté, la Cimade, selon qui les phénomènes
d’automutilation ou de tentatives de suicide ne sont
pas rares, rapportait récemment le cas d’un
Algérien en proie à des difficultés
 psychiatriques
qui avait été particulièrement mal pris en charge dans
son CRA des Hauts-de-Seine avant d’être expulsé vers
Alger. Et, en septembre, un trentenaire retenu au
centre de Cornebarrieu, près de
Toulouse, s’y était lui suicidé
.

« On sent les retenus très remontés, très costauds sur
leurs revendications, qui ne sont pas nouvelles. Les
constats qu’ils font, on les partage,
 explique
Nicolas Pernet. On dénonce globalement la violence
institutionnelle de tout ce système de rétention. Il
y a des pratiques brutales voire illégales de
l’administration ».
Le responsable associatif
évoque ainsi des cas de personnes ayant déposé une
demande d’asile – pendant l’instruction de laquelle
elles ne doivent normalement pas être expulsées – qui
sont éloignées du territoire.

« Quand on place énormément de personnes, il peut y avoir des erreurs »

Nadia Sebtaoui, de France Terre d’asile, tempère : « Je
ne dirais pas que c’est régulier, mais cela peut
arriver ponctuellement que des personnes expulsées
aient déposé des recours. L’administration
n’interprète pas comme nous la notion de suspension
du recours et met effectivement des gens dans des
avions. Quand on place énormément de personnes, il
peut aussi y avoir des erreurs de l’administration. »
 Un
phénomène qui pourrait augmenter puisque, depuis la
promulgation, en septembre 2018, de la loi
asile et immigration
, les recours ne sont plus
suspensifs. Des personnes pourront donc se voir
accorder l’asile après avoir été éloignées de force du
territoire.

Du côté de la Cimade, on évoque aussi des cas de
personnes mineures expulsées, ce qui est parfaitement
illégal et contraire aux conventions internationales
sur la protection de l’enfance.« Lundi dernier, on
a eu un mineur d’Afrique du Nord, pour lequel on
avait obtenu tardivement la preuve qu’il était
mineur. Il avait caché dans un premier temps son
identité pour que son éducatrice ne sache pas qu’il
avait été arrêté. Nous avons saisi les autorités, on
nous a répondu que c’était trop tard. Ce jeune est
maintenant à Alger,
 détaille Nicolas Pernet. On
a aussi eu le cas d’un jeune Asiatique, mineur, mais
qui possédait un passeport de majeur qui n’était
évidemment pas le sien, et qui a vu sa minorité
remise en cause alors qu’il était en zone d’attente.
Les autorités ne remettent pas en cause
l’authenticité de la situation mais sont sur une
ligne hyper dure, hyper répressive. Ce n’est pas
nouveau mais c’est plus assumé. Et avec le passage
de la loi [asile et immigration], cela va être
exacerbé, notamment parce que les personnes peuvent
maintenant être retenues 90 et non 45 jours ».

Contacté, le ministère de l’Intérieur n’avait pas répondu à nos
sollicitations à l’heure où nous publions cet article.
La Direction centrale de la police aux frontières
était, elle, injoignable.

(1) Tous les prénoms ont été modifiés pour protéger l’anonymat des intéressés, à l’exception des personnes présentées sous leur nom
complet.

(2) « La situation des CRA
est variable d’un lieu à l’autre : elle est
étroitement dépendante de l’état de l’immobilier,
mais les centres de rétention en état indigne sont
malheureusement les plus nombreux. Un seul des
six centres visités depuis le début de l’année ne
mérite pas ce qualificatif. Les points faibles de la
prise en charge sont fréquemment les mêmes : une
hygiène déplorable ; des locaux trop exigus, même
lorsqu’ils sont installés dans des enceintes de
police très vastes ; une sécurisation de type
carcéral ; l’absence de respect de l’intimité
(respect des espaces réservés aux femmes par les
policiers, isolement des toilettes) ; l’absence
d’accès à l’air libre ou un accès soumis à la
disponibilité des équipes de police ; une prise en
charge médicale aléatoire pour le somatique et
inexistante pour le psychiatrique ; des pratiques
exagérément restrictives en matière de
communications ; l’absence quasi totale
d’activités. »
Rapport « les Lieux de privation de
liberté en 2017 », page 27.

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