« On est livrés à nous-mêmes » : le cri d’alarme des mineurs confinés dans des chambres d’hôtel des Hauts-de-Seine

Près de 300 jeunes suivis par l’Aide sociale à l’enfance sont isolés dans de minuscules chambres. Les éducateurs « inquiets » tentent de garder le contact avec ces adolescents, déjà fragiles psychologiquement.

Tourner en rond.
Toute la journée. Dans quelques petits mètres carrés. Le quotidien de près de 300 mineurs suivis par l’aide sociale à l’enfance (ASE) des Hauts-de-Seine est bien morose depuis le début du confinement. Ces jeunes sont retranchés dans de petites chambres d’hôtel, parfois à plusieurs.

Mohamed voit ses journées avancer « au ralenti ». « Je m’ennuie tout le temps », souffle ce jeune majeur de 18 ans, mais toujours suivi par l’ASE. Depuis le début du confinement, il partage sa chambre avec un autre jeune dans un hôtel de Colombes. Leur lieu de vie - « on nous interdit de sortir » - est « minuscule ».

« Les draps n’ont pas été changés depuis des jours »

« Je n’ai même pas la place pour prier », souffle Mohamed. « Normalement, c’est une pièce pour une personne mais on est deux. Il y a même d’autres chambres où ils sont à 3 ou 4, confie le jeune homme. Et on ne nous a jamais donné de gel ou de savon. »

Ahmed (tous les prénoms ont été modifiés), 16 ans, lui aussi suivi par l’ASE depuis plusieurs mois, vit dans un hôtel de Clichy. « Les draps n’ont pas été changés depuis des jours, dénonce l’adolescent. On est complètement livrés à nous-mêmes... »

Partagés entre « l’ennui » et « le sentiment d’abandon », ils « vivotent ». « On les appelle régulièrement pour prendre de leurs nouvelles, confie Armelle Gardien, membre de Réseau éducation sans frontières 92, qui garde le lien avec les mineurs étrangers non-accompagnés. Ils n’ont plus de nouvelles de qui que ce soit à l’ASE, ils n’ont plus non plus de possibilité de récupérer de l’argent... »

« Les carences sont multipliées par dix pendant le confinement »

Leurs conditions d’hygiène sont « déplorables », relate la bénévole. « Certains n’ont même pas de savon, de gel hydroalcoolique ou d’eau chaude, renchérit Hervé Lecomte, de RESF. Il y a même un hôtel à Nanterre où les draps n’ont pas été lavés depuis le début du confinement. Le gérant est seul et ses équipes sont confinées. »

La plupart de ces jeunes sont scolarisés. Pendant le confinement, ils tentent de garder contact avec leurs professeurs. « Dans certains hôtels, il n’y a pas de wifi ou pas d’ordinateurs accessibles, observe Armelle Gardien. C’est plus compliqué de travailler depuis un smartphone. » Les angoisses des jeunes sont « décuplées » par cette situation inédite. « Les carences sont multipliées par dix pendant le confinement », souffle Hervé Lecomte.

L’Aide sociale à l’enfance des Hauts-de-Seine et ses 700 agents suit aujourd’hui 4900 jeunes dans le département. Parmi eux, 300 sont logés à l’hôtel, le temps de trouver une famille d’accueil ou une place dans une structure. La plupart sont des mineurs non-accompagnés étrangers. Le reste - entre 40 et 50 mineurs, le chiffre fluctue - sont de jeunes Français, en rupture avec le système.

« Ma fille n’a plus aucune nouvelle de son éducatrice depuis le début du confinement »

C’est le cas de Nina, 17 ans, logée dans un « hôtel miteux » à Courbevoie. La jeune fille est suivie par l’ASE depuis trois ans, après une adolescence émaillée de fugues, de drogue et de gardes à vue. « Ma fille n’a plus aucune nouvelle de son éducatrice depuis le début du confinement, observe Laurence, la mère. On est allées ensemble à l’accueil de l’ASE il y a quelques jours mais le rendez-vous ne s’est pas bien passé. » Sa fille est sortie « traumatisée ». « Elle a eu cette impression d’être une moins-que-rien, de ne pas être écoutée. Elle a de la chance parce que ses deux parents sont là. Mais comment font les autres ? » interroge Laurence.

Depuis quelques jours, Nina ne se nourrit pratiquement plus. « Elle est censée manger dans des restaurants mais ils sont tous fermés, s’agace la mère. Elle n’a pas de réfrigérateur ou de plaque chauffante dans sa chambre. » Le conseil départemental, qui chapeaute l’ASE, assure qu’il « finance la livraison des repas pour les hôtels qui ne seraient plus en mesure d’assurer la pension complète ».

« Le confinement, c’est un traumatisme qu’on rajoute à un traumatisme déjà présent »

Ces situations de vie en hôtel, censées être provisoires, sont amenées à durer plus longtemps. Confinement oblige. Et même les travailleurs sociaux semblent désemparés. « J’appelle régulièrement les jeunes et les hôtels pour savoir s’ils ne manquent de rien  », assure une éducatrice. Mais « ce n’est pas facile, on est tous isolés dans nos coins. On ne peut pas faire de visites, travailler sur des entretiens... » renchérit une collègue.

Cette dernière se dit « inquiète » et « impuissante ». « Comment ces jeunes vont supporter la situation ? Est-ce que les coups de fils suffiront ? Le confinement, c’est un traumatisme qu’on rajoute à un traumatisme déjà présent », observe la travailleuse sociale. « Certains jeunes ont déjà vécu des guerres dans leur pays. Imaginez quand ils entendent le président français parler de guerre », s’inquiète un autre agent.

Ces éducateurs rappellent la situation déjà compliquée à l’ASE du 92, avant le confinement. « Moins d’effectifs, moins de moyens », liste une travailleuse sociale. Les travailleurs sociaux avaient crié leur détresse en décembre dernier, après qu’un jeune mineur logé en hôtel à Suresnes en avait tué un autre. « La protection de l’enfance était dans la même situation que l’hôpital public avant la crise, souffle l’éducatrice. Je suis sûre que les travailleurs sociaux du département font ce qu’ils peuvent... »

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