Paris Normandie : Tahar Rahim : « Samba est une sorte d’hommage aux sans-papiers »

Comédie. Dans « Samba », Nakache et Tolédano transforment Omar Sy et Tahar Rahim en sans-papiers. Rencontre avec un inoubliable « Prophète ».

Propos recueillis par Geneviève Cheval

Olivier Nakache et Eric Tolédano, les réalisateurs de l’irrésistible Intouchables lui ont dit : «  On va essayer de montrer tes dents...  » Et c’est fait. Dès qu’il sourit, que ses yeux pétillent, Tahar Rahim irradie. C’est vrai que le comédien, le seul à avoir remporté la même année le César du Meilleur espoir masculin et celui du Meilleur acteur pour Un prophète (2009) de Jacques Audiard, s’est jusque-là distingué dans des rôles graves, comme l’an dernier dans Le Passé d’Asghar Farhadi et Grand central de Rebecca Zlotowski. Il était temps de le voir dans une comédie. Dans Samba, face au géant Omar Sy, il se montre parfaitement à l’aise en sans-papiers brésilien qui illumine les moments les plus durs des travailleurs émigrés. Rencontre avec un jeune homme aussi discret que sympathique.

Vous sentiez-vous concerné par l’univers des sans-papiers avant «  Samba  »  ?

Tahar Rahim  : « Dire que c’était un sujet qui m’intéressait vraiment, ce serait mentir. Mais j’ai été sensibilisé par ça parce que j’ai travaillé dans des boîtes de nuit et sur des chantiers où j’ai rencontré des sans-papiers. Et j’ai pu constater que leur quotidien était compliqué, difficile à vivre. Pas seulement parce qu’ils sont dans l’illégalité, mais du fait d’être loin, de par leurs responsabilités importantes vis-à-vis de leur famille restée au pays. Et puis, parfois, les employeurs en profitent. Alors, finalement oui, on peut dire que, déjà, c’était quelque chose qui me touchait. »

Y avait-il un écho à la vie de vos parents installés à Belfort et originaires d’Oran  ?

T. R.  : « Non, parce que ça n’a rien à voir. Pour eux, c’était une invitation à venir reconstruire le pays. Il ne s’agissait pas de gens qui fraudent les frontières pour trouver l’El Dorado. C’était différent de la situation de Samba et de Wilson. »

Qu’avez-vous appris de leur situation  ?

T. R.  : « J’ai découvert l’ambiguïté du système juridique français face aux immigrés, comme l’OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Et puis, la paperasse (rires). Je n’imaginais pas à quel point c’est difficile de réunir tous les formulaires nécessaires à une demande d’immigration. D’ailleurs il y a une scène très drôle qui le montre. »

Tout le principe du film est là...

T. R. : « Exactement, on rit de choses importantes sans jamais être dans le misérabilisme. Sans jamais tomber dans la lourdeur. »

Comment fonctionne le duo Nakache/Tolédano  ?

T. R. : « Ils travaillent ensemble depuis vingt ans, les gars. C’est comme des frangins sur un plateau. On les a appelés Lego 1 et Lego 2. Clic, c’est différent, mais ça s’emboîte bien... »

Vous aimiez leurs films  ?

T. R. : « ... Je détestais mais comme la production me payait trois mois au Brésil pour choper l’accent (rires)... Non, j’adorais. Leur humour me correspond tellement. Ils sont un peu les seuls à mélanger des sujets sociaux avec humour, légèreté, humanisme, et à créer des rencontres avec des gens qui s’opposent tellement. Et lorsqu’on sort du film, on a été touché, on s’est marré. »

On rit et on est touché parce qu’ils abordent ici le monde du travail avec humour...

T. R.  : « Parler d’un sujet comme celui-là, avec ce prisme-là, je trouve ça vachement intelligent parce qu’on sensibilise les gens, on leur permet peut-être de penser autrement. Le film ne se moque pas de ces gens-là, c’est un hommage au sans-papiers. »

Est-ce plus difficile de jouer dans une comédie  ?

T. R. : « C’est retourner à l’école en fait. Mais c’est vrai qu’il y a une réelle différence de rythme. Autant dans le drame, on joue des silences pour installer une émotion, que dans une comédie, c’est le rythme des dialogues, de la mise en scène qui va faire prendre la mayonnaise. Parce que si une vanne est sortie une seconde trop tôt, elle ne fait pas mouche. C’est un peu comme de la musique, on est comme un métronome. »

Qu’avez-vous appris de cette expérience de comédie  ?

T. R. : « À lâcher prise. Il faut savoir s’oublier. Parce que les premières prises, ça peut être drôle, mais au bout d’un moment, on peut se dire aussi, mais qu’est-ce que je fais là, en train de danser sur une nacelle. Au bout de dix prises, ça ne fait plus rire personne, on est juste dans le travail. »

Après Omar dans «  Intouchables  », c’est vous qui dansez. Vous saviez danser  ?

T. R.  : « J’aime bien danser, mais la samba, ça ne s’improvise pas du tout. C’est compliqué. En plus, moi j’y vais en passant que j’allais y passer deux ou trois heures, et vlan, j’en ai pris pour deux semaines. Pour cette scène-là, on avait répété toute une chorégraphie, et sur le plateau, on a à peine commencer qu’ils nous disent : «  On a envie de filmer autrement, faites deux ou trois pas et puis lâchez-vous...  » Et c’est ce qui s’est passé. »

En parlant d’impro, y en a-t-il eu beaucoup  ?

T. R.  : « Je dirai plutôt qu’on était en liberté surveillée. Parfois, ils nous balançaient des phrases qui n’étaient pas prévues dans le scénario, ils jouaient de notre surprise. Ça crée de la magie, de l’imprévisible. »

Vous avez les cheveux longs. C’était une perruque  ?

T. R. : « Oh je le prends pour un compliment car c’était mes cheveux et j’étais content quand ça a été fini parce que c’est de l’entretien des cheveux comme ça, et moi, j’aime bien me lever et puis tracer... »

Aviez-vous lu «  Samba pour la France  » de Delphine Coulin qui a servi à l’adaptation  ?

T. R. : « Non, mais j’en ai très envie parce que ça me permettra de mieux comprendre ce qu’est une adaptation au cinéma. »

Parce que vous envisagez de passer derrière la caméra  ?

T. R. : (rires) « Comment dire : ça fait fantasmer... »

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