Rouge : RESF en perspective

http://www.lcr-rouge.org/article.ph...

Marie-Cécile Plà
Enseignante spécialisée, Marie-Cécile Plà est rééducatrice scolaire dans le 18e arrondissement de Paris. Depuis de nombreuses années, elle coanime le collectif pour la libération de Mumia Abu Jamal. Membre du Réseau éducation sans frontières (RESF) depuis sa création, Marie-Cécile Plà en coordonne le secteur Paris nord-ouest, zone recouvrant les 8e, 9e, 16e, 17e et 18e arrondissements de la capitale.

Le Réseau éducation sans frontières (RESF) n’est pas et ne se veut pas être une organisation, encore moins un collectif. Le principe est simple : on décide ensemble et on y va. Pas de délégation, la légitimité de chacun venant de ce qu’il fait. La base du réseau réside dans la mise en commun, de façon non hiérarchique, de toutes les capacités, savoir-faire, informations, en vue d’obtenir la régularisation de tous les jeunes et familles en situation irrégulière dont nous avons connaissance. Nous avons pris l’école pour levier, car c’est un lieu majeur de socialisation et un milieu qui peut servir de base à la mobilisation. Nous ne nous substituons pas aux familles ou aux jeunes, mais nous les aidons à créer et à construire la solidarité et la mobilisation qui feront pencher la balance en leur faveur. Les maîtres mots sont : « Respect, ensemble, en commun, en réseau, avec les autres ». Ni caritatifs ni humanitaires, nous nous inscrivons dans la lutte générale des « sans-papiers », à leurs côtés.

Loin de prétendre à l’hégémonie, on travaille en collaboration à chaque fois que cela est possible avec les organisations, associations, partis et élus. On ne décharge pas les gens de leur propre lutte, on ne prend pas les dossiers. On aide à construire la mobilisation autour des familles ou des jeunes concernés. On ne négocie pas non plus avec les préfectures et, en cela, on rompt totalement avec les pratiques anciennes des collectifs de sans-papiers.

Certains d’entres nous sont des novices, des citoyens lambda qui ont découvert, de manière fortuite, la situation d’un voisin, du copain d’école de leur enfant, ou qui sont venus, poussés par un désir légitime de faire quelque chose de bien. Ils sont parfois agréablement surpris de se retrouver citoyen, et ils se réapproprient l’action collective. Des mamans plutôt « classiques » se sont étonnées elles-mêmes en allant faire le tour des squats. Cela a été l’occasion, pour beaucoup, de se connaître, de parler, de lever la tête. Tout cela suscite l’échange, la connaissance mutuelle, l’accueil, et cet entourage répare en partie la blessure de l’exil. C’est aussi, pour les enfants, une réparation de l’image de parents brisés, humiliés, menottés.

Nous avons passé l’été sous l’ ?il des médias : presse internationale, télés, radios et presse écrite. De la Corée aux États-Unis. Quant à moi, j’aimerais que plus de personnes osent s’exprimer dans les médias et que mille voix portent la parole du réseau. Mais les journalistes ont tendance à toujours vouloir les mêmes têtes. On a beau leur expliquer qu’il n’y a ni ruche, ni reine des abeilles, la pression médiatique est assez forte.

Ce qu’on ne souligne pas assez - peut-être parce que nous n’en sommes nous-mêmes pas assez conscients -, c’est à quel point nous avons changé le langage des médias et à quel point nous avons réussi à réorienter l’axe de la future campagne politique. Il y a un an, les politiques se seraient fait tuer plutôt que de se montrer à une manifestation de sans-papiers. Maintenant, ils s’y pressent. On n’a pas seulement donné un nom et un visage aux étrangers, on a réussi à faire basculer le débat immigration/insécurité à immigration/dignité des personnes en situation irrégulière. On commence tout juste à réaliser l’ampleur et l’impact de la mobilisation. Je n’ai pas trouvé, dans l’histoire, l’équivalent d’un mouvement de solidarité de cette ampleur. Le ministre de la sous-traitance et de l’insécurité a cru pouvoir surfer sur des peurs dignes de 1942, mais la France de 2007 n’est pas celle de Vichy. Les gens font le lien tout seuls, comme s’ils pansaient ainsi une vieille honte historique. Comme si, à force de s’entendre dire qu’ils vivaient dans le pays des droits de l’Homme, ils avaient voulu s’y essayer vraiment.

Le travail du RESF a aussi permis que s’élabore une véritable réflexion autour des questions d’immigration. Nombre de politiques récitent du bout des lèvres « qu’il faut régulariser tous les sans-papiers », en se disant que cela ne porte pas à conséquences. Si les journalistes ont, en leur temps, trituré la phrase trop connue de Rocard - « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » - sans qu’on puisse entendre ce qui avait été réellement dit1, c’est bien que cela correspondait peu ou prou à ce que le quidam moyen était censé penser.

Venons-en à cette vieille scie de la maîtrise des flux migratoires. Le goût des voyages est inscrit dans nos gènes depuis le paléolithique au moins. Depuis la nuit des temps, on a eu envie d’aller voir si le pré d’à côté ne serait pas plus vert. On pourrait miner les plages, faire un mur de bateaux garde-côtes, supprimer tous les visas et fermer les aéroports, les gens viendraient quand même. Les trois quarts de l’humanité vivent dans un état de profonde désespérance, et on aurait tort d’incriminer la seule misère économique. Ce ne sont pas les plus pauvres qui viennent, ce sont ceux qui ont des rêves. Ils paient un passeur fort cher pour un voyage aléatoire, ils s’enferment pour des dizaines d’heures dans un conteneur ; un pot pour boire, un autre pour uriner, en espérant qu’ils pourront sortir avant de mourir de soif. Ils s’embarquent sur des radeaux de fortune, et la Méditerranée est déjà un charnier. Il en meurt un sur dix. Il en mourra cinq, huit sur dix, mais ils viendront. Et qu’on cesse de nous seriner que l’aide au développement serait la panacée, alors que c’est l’arnaque du siècle. Le souci n’est pas d’empêcher les gens de venir, mais de savoir comment on les accueille et comment on vit ensemble.

Notre ministre du « J’te nettoie et t’nique » a semé une pagaille monstre avec sa circulaire. Nous avons en partie limité les dégâts et son tableau de chasse est un peu pauvre. Cependant, il nous laisse une situation totalement explosive. La rentrée aidant, nous allons agrandir notre capacité à intervenir, rencontrer encore plus de gens, être amenés à résoudre encore plus de problèmes, et de plus en plus complexes. Naturellement, nous allons nous confronter à des difficultés grandissantes, mais l’insurrection des braves gens est en marche. Elle ne va pas s’arrêter en route.

1. La phrase exacte était : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre toute sa part. »