« Samba pour la France », de Delphine Coulin

Voir aussi : l’émission sur RFI

A la Une > Livres

Critique

"Samba pour la France", de Delphine Coulin : Ubu et les sans-papiers

LE MONDE DES LIVRES | 06.01.11 | 11h35

 

En 2011, Ulysse est de retour, avec la même audace, le même cran : celui, millénaire, des errants et des migrants, dans un roman dont le talent et le titre claquent au vent, Samba pour la France. Cet Ulysse-là porte un prénom de triomphe et de joie, Samba, mais aussi un destin de désenchantement. Car Samba est noir, malien et sans-papiers dans une France bien décidée à faire le tri de ses immigrés. Son odyssée, qu’il pensait avoir vécue dix ans plus tôt en allant vers l’Europe, commence vraiment en 2008, lorsqu’il se présente à la Préfecture de Paris dans l’espoir d’une régularisation, fort d’une décennie de petits boulots en France. Une carte de séjour ? Pas question. A la place, des menottes, et un aller simple pour le centre de rétention administratif de Vincennes, d’où l’extrait la Cimade, l’association de soutien aux migrants.

Enjoint de quitter le territoire, Samba entame à Paris une vie ubuesque de sans-papiers, troquant son identité contre celle de son oncle, puis d’autres, chassant les emplois du bâtiment et de la restauration avec la complicité d’agences d’intérim et de patrons peu scrupuleux, dînant dans les poubelles et logeant dans une cave insalubre où, sur les murs, "la moisissure ressemblait à la carte d’un pays où l’on n’arriverait jamais". Et ainsi le roman, palpitant, oscille entre le récit d’une quête d’identité, de fraternité, d’amour, même, de Samba pour une jeune Congolaise réfugiée, et une cartographie serrée du monde parisien des clandestins, essentiellement ici africains et sud-américains. Dégraissé de tout cliché sociologisant ou misérabiliste, Samba pour la France restitue au plus près les déchirements et les révoltes de ce "patriote" qu’est Samba, lui qui, "même derrière les barreaux, même les menottes aux poignets, aimait la France". "Patriote" : voilà bien un titre, pour un sans-papiers, qui sonne comme un défi face aux idées reçues.

Car Samba doit son existence, non pas à un antique poète aveugle et chenu, mais à une jeune trentenaire blonde aux yeux brillants de détermination et de curiosité, Delphine Coulin, qui a tissé son destin dans une petite arrière-cour parisienne du boulevard des Batignolles. C’est là que, devenue bénévole dans les locaux de la Cimade, elle a rencontré ceux qui allaient devenir la matrice des personnages de Samba pour la France, son troisième roman. A l’époque, défrichant pour eux la jungle de l’appareil législatif, elle s’efforçait de "traduire du français en français" les textes administratifs, puis de détailler le récit de leurs vies pour faire valoir leur cause auprès des autorités. Ancienne de Sciences Po, elle pensait ainsi mettre à leur service son expertise juridique. Ironie des choses : c’est son talent pour le récit qui a fléchi les tribunaux.

"L’horizon en perspective"

Son expérience de romancière, cinéaste et productrice à Arte, rompue au mot et à l’image, a plusieurs fois aidé à écarter la menace d’une expulsion. Pas assez souvent, pourtant. En même temps que la puissance du récit, Delphine Coulin en touchait les limites, qu’elle a magistralement repoussées avec son roman. Elle a ainsi brassé les récits de vie nés de ses rencontres à la Cimade avec ses lectures, que ce soit l’enquête du grand reporter italien Fabrizio Gatti, infiltré parmi les immigrés africains en route vers l’Europe (Bilal, sur la route des clandestins, Liana Levi, 2008), ou celle du sociologue Nicolas Jounin sur les sans-papiers dans le secteur du bâtiment en France (Chantier interdit au public, La Découverte, 2008). C’est les yeux fixés sur les "étoiles" que sont pour elle Les Raisins de la colère, de John Steinbeck, et Homme invisible, pour qui chantes-tu ?, de Ralph Emerson, qu’elle a composé Samba pour la France. Car pour elle, "l’incarnation dans des personnages romanesques permet de lutter contre les traitements de masse et les images brouillonnes. Face à la violence, l’imaginaire nous appartient, indivisible et personnel. Il restitue une dignité".

Son imaginaire à elle connaît l’art du détail faisant image : celle, humiliante, du petit garçon que sa mère oblige à "faire pipi en pleine rue, malgré lui, sur le sol français", pour ne pas perdre sa place dans la file d’attente de la préfecture ; celle, ironique, des migrants racontant leur odyssée à la Cimade, sous une affiche détaillant pour de jeunes scouts le mode d’emploi d’une boussole. Mais son roman accueille aussi le lyrisme épuré de scènes de migrations animales, qui replacent les sans-papiers dans le va-et-vient naturel du monde, plutôt que dans la masse d’une main-d’oeuvre "interchangeable", eux qui "ont la vue haute, l’horizon en perspective".

Partager cette hauteur de vue, voilà ce qu’accomplit ce grand livre. Et pourtant... "Samba n’y raconte pas son histoire à la première personne. Vous savez pourquoi ? Les récits de vie composés pour les tribunaux à la place des migrants devaient toujours l’être. Mais quand je disais "Moi, Seydoux, né à Bamako le...", j’avais l’impression de leur voler la dernière chose qui leur restait", se rappelle-t-elle. Une dernière lutte clandestine de la littérature, donc, et une dernière conquête.


SAMBA POUR LA FRANCE

de Delphine Coulin. Seuil, 306 p., 19 €.

 


http://www.rfi.fr/emission/20110103-ecrivain-delphine-coulin

lundi 03 janvier 2011
2. L’écrivain Delphine Coulin
 
Par Pascal Paradou

Elle vient de publier Samba pour la France aux éditions du Seuil :

Samba Cissé était pourtant venu de bonne foi à la Préfecture de police de Paris demander le titre de séjour auquel il avait droit, après dix années passées en France. Mais rien ne s’y est passé comme prévu : Samba a été arrêté, devant des dizaines d’hommes et de femmes de tous pays qui attendaient, comme lui, que l’État veuille bien reconnaître leur existence.Il ne sait pas encore que le voyage héroïque qu’il a accompli pour venir du Mali jusqu’en France, puis les dix années à s’y faire une place, vont s’avérer moins difficiles que tout ce qu’il va vivre à partir de ce jour-là. Devenu clandestin, il va apprendre tout ce qu’il faut savoir pour survivre en France.

Delphine Coulin est née en Bretagne et vit à Paris.Elle a publié aux Éditions Grasset un roman, Les Traces (Prix du Télégramme de Brest et Prix du premier roman au Salon de Besançon) et un recueil de nouvelles, Une seconde de plus, qui a obtenu en Belgique en juin 2007 le Prix de La Renaissance. Son roman Les Milles-vies est paru aux Éditions du Seuil en 2008.

écouter l’émission :

 


Voir à ce sujet :

  • "Bilal, sur la route des clandestins" de Fabrizio Gatti
    mardi 17 juin 2008 dans ACTUS générales / Bibliographie
  • "Chantier interdit au public", de Nicolas Jounin
    vendredi 30 octobre 2009
  • "Chroniques de rétention", par des intervenants de La CIMADE
    mercredi 13 octobre 2010

 

 -

Lire la suite : http://www.lemonde.fr/livres/articl...