La politique d’immigration, comme toute politique, vise à dépasser les situations particulières au moyen d’une règle générale. La culture du résultat, aujourd’hui mise en avant pour justifier sa rationalité, redouble ce passage en abstraction : la politique du chiffre que revendique Nicolas Sarkozy, et que mettent en oeuvre ses ministres successifs, se donne en effet des quotas d’expulsions définis a priori, indépendamment des réalités humaines dont elle traite. Sans doute nos gouvernants prétendent-ils humaniser leur politique en plaçant la logique du chiffre, non sans contradiction, sous le signe du « cas par cas » : ainsi, l’évaluation des situations est laissée à la discrétion des préfets.
Si une telle individualisation ne fait que renforcer un sentiment d’arbitraire, et si les sans-papiers restent broyés dans la machine administrative, cette politique n’en a pas moins un visage, ou plutôt deux, en miroir : le « cas par cas » renvoie face à face des figures singulières de préfets et de sans-papiers. Alors que l’État réduit les immigrés à un problème, ce livre s’attache à donner chair à des « cas » en restituant leurs histoires propres. Pour autant, la bureaucratie n’est pas qu’une froide abstraction ; les préfets lui donnent leur visage, et leur nom. Sans doute les portraits de ces hauts fonctionnaires sont-ils moins divers que ceux des sans-papiers ; mais ils ne peuvent s’effacer derrière la logique d’État : le « cas par cas » interdit de les voir comme de simples exécutants.
Aux sans-papiers, objets d’une mécanique politique, cet ouvrage rend donc leur qualité de sujets. Aux préfets, qui sont au premier chef les acteurs de cette politique, il rappelle aussi leur responsabilité personnelle dans l’histoire.