"Travailleurs venus d’ailleurs" de Laure Teulières, Gilles Favier, Sara Jabbar-Allen
et
"Hier colonisés aujourd’hui exploités demain régularisés" de Laura Genz et Fofana Vazoumana

Vues croisées sur la vie des immigrés

Critique
Dessins, photos : deux ouvrages s’attachent au combat des sans-papiers et à l’intégration en Midi-Pyrénées.

Par CATHERINE COROLLER

 

 

 

"Travailleurs venus d’ailleurs"

de Laure Teulières

photos de Gilles Favier et Sara Jabbar-Allen

Editions du Rouergue, 188 pp., 30 €.

 

 

"Hier colonisés aujourd’hui exploités demain régularisés"

de Laura Genz et Fofana Vazoumana

Editions Fage, 366 pp., 28 €.

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Ce sont trois regards d’artistes sur les immigrés. Sara Jabbar-Allen et Gilles Favier sont photographes. Ce dernier collabore à Libération depuis 1982. Laura Genz est dessinatrice. Leur approche n’est pas tout à fait la même, mais c’est la même humanité qui s’en dégage. Le regard de Laura Genz est clairement militant. « C’est par hasard que je suis entrée le 7 mai 2008 dans la Bourse occupée », raconte-t-elle. La Bourse, c’est celle du travail, dans le IIIe arrondissement de Paris, investie entre le 2 mai 2008 et le 24 juin 2009 par des sans-papiers qui tentaient d’obtenir leur régularisation.

Pendant ces treize mois, un millier de personnes y ont vécu nuit et jour. Dès son arrivée, Laura Genz a commencé à dessiner. « Il n’y avait pas de projet, rien de prémédité. » Puis, elle est revenue. « Ça amusait les occupants. Ça faisait une distraction. J’étais aussi un témoin de ce qu’ils vivaient. » Un samedi, un homme lui dit : « Aujourd’hui, tu dessines la cuisine ! » Les croquis sont affichés sous le porche de la Bourse. « Des gens ont dit : "on en veut !" Une femme m’a encouragée : "Vas-y, fais-en des cartes postales, on va les vendre, ça fera des sous." » Les ventes couvrent les besoins en riz des occupants.

Par hasard, Hou Hanru, commissaire de la dixième édition de la biennale d’art contemporain de Lyon passe devant l’établissement occupé : « C’est ainsi que les dessins y ont été invités. » L’éditeur Gilles Fage visite la biennale : « Et pouf ! Voilà le livre. » Les 328 dessins racontent la vie quotidienne. Un matelas replié en haut d’un escalier. Un cours d’alphabétisation dans le hall d’entrée. Un homme en train de se laver les pieds dans un lavabo.

L’ouvrage de Gilles Favier et Sara Jabbar-Allen est moins directement militant. Sara Jabbar-Allen, photographe franco-irakienne, est à l’origine de ce projet. En compagnie de Gilles Favier, elle a sillonné les huit départements de Midi-Pyrénées à la rencontre d’ouvriers immigrés et de leurs descendants. Résultat, une galerie de portraits mais également de lieux - paysages, ateliers, usines, maisons - accompagnés d’un petit texte racontant les circonstances de l’arrivée en France du sujet ou de son ancêtre.

Julia Mazzonetto Mezzavilla Delrieu est photographiée devant sa maison, son chat sur les genoux. « C’est l’oncle de Julia qui est arrivé le premier en France pour fuir la camica nera [les fascistes] dans les années 30. Ayant trouvé du travail immédiatement, il a pu faire venir le reste de sa famille. » Julia s’est installée comme épicière à Saint-Girons dans l’Ariège. Elle y vit toujours près de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Tarshika Perinpanalhan pose, elle, devant des étagères d’objets religieux du magasin de Lourdes où elle travaille. Elle est née au Sri Lanka en 1989, sa famille, réfugiée politique, a transité par l’Allemagne avant de s’établir en France en 1994.

Sara Jabbar-Allen ne s’est pas contentée de prendre ces travailleurs en photo, elle les a fait parler. « Il y a eu des éclats de rires, parfois quelques larmes et des moments de colère, des marques de résignation, mais plus souvent de la fierté. Chez tous, l’envie certaine de raconter pour faire passer une histoire : la leur. » Un DVD d’extraits de ces témoignages accompagne le livre.

 

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