92 - Hauts-de-Seine

LE FIL INFO - LETTRE D’INFORMATION DU COLLECTIF MIE 92

Un an de loi Taquet, et toujours des mineurs à la rue

Février 2023 : un an après la loi du 7 février 2022 dite Loi « Taquet » sur la protection de l’enfance, la situation des MNA dans ce pays continue d’être trop souvent indigne.

De nombreuses organisations et collectifs se sont emparées de ce premier anniversaire pour poursuivre alertes, médiatisation et propositions.
12 collectifs ont envoyé au procureur un signalement pour « non-assistance à personne vulnérable  », ou alerté (une fois de plus !) le président de leur Conseil départemental.

Le 8 février, par une température proche de zéro, trois mineurs, refusés par l’ASE et en attente d’audience chez le Juge des enfants, accompagnés de membres du Collectif RESF MIE 92, ont alerté les personnels des services de la protection de l’enfance devant le siège du Conseil départemental 92, à Nanterre. Le tract, qui dénonce la mise en danger des mineurs en attente d’audience, a été bien accueilli dans l’ensemble par les personnels. Par contre, à son arrivée, le président du Conseil départemental, Georges Siffredi, a refusé d’en prendre connaissance.
A voir ici : https://reseau-resf.fr/-Actualites-697-

Depuis ces signalements et peut-être aussi depuis la condamnation de la France le 25/01/2023 par le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU, la situation bouge. Des jugements des mises à l’abri ont été rendus. Mais, presque symétriquement, l’ASE 92 remet à la rue des jeunes majeurs atteignant leurs 21 ans, peu importe qu’ils soient en cours de formation ou d’activité, et que leurs démarches en vue d’obtenir une place en foyer de jeunes travailleurs n’aient pas encore abouti.
En dernière page, les actions et liens pour approfondir.

SUR LE FRONT DES JEUNES

Du côté des mineurs isolés …
Mama, jeune gambien refusé par l’ASE sans expertise de son acte de naissance original. A la rue depuis 4 mois, hébergé par des familles solidaires, et apprécié par tous ses hébergeur.e.s, avait une audience chez la Juge des enfants le 31 janvier. Annulée la veille au soir, sans motif. Le 13 février, l’avocate informe RESF que la juge a prononcé une ordonnance de placement provisoire de 6 mois. Mais sans son jugement en main, Mama ne sera pas accepté à l’ASE. Relance du tribunal, de l’avocat, la greffière n’est pas au courant, le jugement finit par être transmis à l’avocat et à l’ASE le 27 février. Et l’on découvre que la décision a été prise le… 30 janvier. Un mois de prise en charge perdu pour Mama !

Mahamadou, 15 ans ½. Arrivé en France à l’été 2022, mis à l’abri quelques jours par l’ASE. Le test d’âge osseux imposé par l’ASE le déclare majeur. Mahamadou est remis à la rue et orienté vers Utopia 56 qui lui procure une tente. Il sera l’un de ces 300 mineurs et jeunes majeurs isolés à camper plusieurs jours en décembre devant le Conseil d’Etat, ensuite répartis dans des gymnases, toujours sous la tente. La convocation du Juge des enfants lui parvient le jour même de l’audience, il ne peut s’y rendre, un jugement de non-lieu est prononcé en son absence, la décision renvoyée en Cour d’appel sans décision de mise à l’abri. Finalement, le 17 février, Mahamadou est informé de son placement pour un an, ordonné par la juge des enfants, à la suite d’une nouvelle saisine, et confirmé par la Cour d’appel.
Le même jour, accompagné par RESF, Mahamadou va faire son inscription en CAP Service en restauration au lycée Théodore Monod d’Antony. Il est accueilli avec toutes les explications, visite l’établissement, les salles de cours, la salle du restaurant « L’envol » où il fera le service, salue les enseignants et élèves de sa classe. Il ressort avec son dossier d’inscription à remplir, la liste de son trousseau de tenue de service à commander (en contrepartie d’un reste à sa charge de 70 € environ à verser à la commande). On n’attend plus que la signature de l’ASE sur tous les documents et le versement de la somme attendue pour le trousseau et ainsi tout sera en règle. Mahamadou a rendez-vous au lycée le mercredi 8 mars pour faire sa rentrée, avec son dossier rempli et signé (si l’ASE le veut bien).

Et des jeunes majeurs

Histoire de Bilaly, et de quelques autres mineurs empêchés par l’ASE de faire leur formation
Bilaly, jeune malien arrivé à 15 ans ½ en France en novembre 2021, a bénéficié en mars 2022 d’une ordonnance de placement du Juge des enfants à Toulouse. Celui-ci l’a alors confié à l’ASE 92 en vertu du dispositif de répartition nationale. En septembre 2022, Bilaly intègre un MODAP (dispositif d’apprentissage du français et d’orientation professionnelle de l’Éducation nationale) au lycée Léonard de Vinci de Bagneux. La vocation de ce dispositif est d’amener aussi rapidement que possible ces jeunes, généralement non scolarisés antérieurement et souvent non francophones, vers l’apprentissage.
C’est le cas de Bilaly, à qui les partenaires professionnels du lycée proposent à la fin du 1er trimestre une formation de boucher, assortie de conditions exceptionnelles : un contrat d’apprentissage en alternance en Bretagne, inscription en CFA, promesse d’embauche à la suite de la formation, et les garanties de prise en charge matérielle requises : rémunéré 1300 € net, hébergement provisoire de deux mois, puis colocation avec un camarade de sa classe, avec une allocation logement (APL).
Bilaly est attendu début janvier pour commencer sa formation, il ne reste plus qu’à obtenir les signatures de l’ASE 92. Un service qui ne répond ni aux demandes de dossier du jeune, ni aux nombreux appels et messages de la responsable du MODAP. Le dossier de placement ? L’ASE ne l’aurait pas, Bilaly doit aller le chercher au Tribunal à Toulouse avec l’éducateur de l’association qui l’accueille. Le CFA de Bretagne patiente, mais évidemment, la place de Bilaly ne pourra pas être gardée éternellement. Fin janvier 2023, l’ASE finit par expliquer que « le projet manque de structuration, après appel de la plate-forme par le SGMNA, le projet n’est pas très clair sur l’hébergement et la restauration, en plus d’autres questions juridiques. » On n’en saura pas plus que ce motif sibyllin. En urgence une lettre au président du CD est rédigée, une pétition lancée dans l’établissement, signée de tous les enseignants, des soutiens de députés du 92 obtenus, les conseillers départementaux en charge de l’ASE alertés, mais le 1er février, Bilaly apprend que sa place n’a pas pu être bloquée plus longtemps. Consternation et colère devant un pareil gâchis.
Et quel message pour les formateurs et les jeunes en formation ! A quoi bon faire son maximum si « le service de garde », l’ASE 92, met son veto ou des freins incompréhensibles.
Bilaly n’est pas le seul exemple. A plusieurs reprises, des formateurs, avec le collectif RESF MIE 92, ont dû soulever des montagnes pour obtenir les accords de l’ASE 92 pour finaliser des apprentissages. A ce jour aucune réponse du Conseil départemental 92 aux divers courriers.

Le couperet des blocages en préfecture
Oumar, jeune guinéen de 21 ans, arrivé en France en 2019, à 16 ans ½, après un parcours particulièrement traumatique. Pris en charge par l’ASE, il passe d’hôtel en hôtel, et poursuit un parcours de formation sans faute : un CAP Peintre - Applicateur de revêtements au lycée Jean Monnet de Montrouge. Sa première année d’apprentissage se fait dans une entreprise qui ne le traite pas bien. Il le poursuit dans une entreprise respectueuse des apprentis, dont les clients sont prestigieux.
Oumar dépose sa demande de titre de séjour en 2021. Il a un récépissé qui expire le 19/10/2021 mais n’a ensuite plus aucune nouvelle de sa demande. Il lui est également impossible de renouveler son récépissé, sans que personne ne comprenne pourquoi. Il faudra attendre novembre 2022 pour apprendre, après plusieurs relances, que son titre n’avait pas pu être fabriqué suite à un problème de photo. Une nouvelle photo lui aurait été demandé le 08/08/2021 par courrier mais la cellule MNA ne lui a jamais transmis le courrier. Du coup sa demande de titre de séjour est tombée dans les oubliettes administratives. Suite au signalement, il obtient un rendez-vous le 9 décembre 2022. Où il apprend qu’il avait été convoqué par SMS le 30 novembre. La convocation était sur la dernière ligne du SMS reçu. Oumar avait alors pensé que le RV du 9 décembre prenait le pas sur celui du SMS. A tort, car l’agent au guichet lui signale le 9/12 que son dossier est parti dans le stock des RV non honorés. Sa bonne foi manifeste et un courrier d’explication lui permettent d’obtenir un nouveau rendez-vous le 28 décembre. Il découvre alors que la carte de séjour est bien là mais qu’elle est déjà expirée ! Il doit récupérer ce 1er titre expiré avant d’effectuer une demande de renouvellement. Et ce en payant les 375 € de taxe exigés ! Le dépôt de renouvellement se fait le même jour à un autre guichet. Un récépissé de 6 mois lui a été remis et il vient d’apprendre que sa 2ème carte est disponible. Il devra payer 225 € pour la récupérer. Soit 600 € pour un titre !

Yaya, jeune ivoirien, est arrivé en France en octobre 2019, à l’âge de 16 ans ½. Refusé alors par la cellule MNA pour les motifs habituels (apparence, maturité), il se retrouve à la rue, et bénéficie de l’accueil de plusieurs familles dans le sud du 92. La saisine du juge des enfants lui permet d’obtenir son placement, mais, à son insu, l’ASE fait appel de la décision.
Le matin de l’audience à la cour d’appel, Yaya obtient son passeport à l’ambassade, et arrive, au terme d’une véritable course contre la montre de Paris à Versailles, pour remettre le document à la présidente de la Cour d’appel qui confirme son placement.
Une décision que l’ASE lui fera payer cher ! Aucun soutien éducatif, menaces diverses. Yaya, déterminé, tient bon, parvient seul à ouvrir un compte bancaire (un véritable exploit !). Il fait des stages, puis son apprentissage de peintre dans une mairie, et obtient un titre de séjour. Appréciant son travail, la mairie l’embauche en CDD renouvelable (contractuel). Il obtient son permis de conduire et conduit des véhicules dans le cadre de son travail. Grande fierté !
Lors du dernier renouvellement de son titre, la préfecture refuse de renouveler le récépissé, exigeant une autre autorisation de travail que celle déjà obtenue par la mairie lors de la sa première embauche. Un blocage peu compréhensible puisque Yaya a le même employeur depuis plus de trois ans. C’est le moment que choisit l’ASE pour signifier sa fin de prise en charge à Yaya, au motif qu’il ne s’est pas suffisamment activé pour obtenir une place en FJT (foyer de jeunes travailleurs). Un argument rigoureusement inexact, sauf que ses démarches n’ont pas encore abouti. Pourtant Yaya n’a pas encore 21 ans et son contrat jeune majeur peut et doit sans problème être renouvelé.

Un an après la loi « Taquet » sur la protection de l’enfance, une loi insuffisante et inappliquée : actions et décisions
  « En finir avec les violations des droits des mineur-e-s isolé-e-s ». 90 propositions pour une meilleure protection. Rapport 2023 de l’AADJAM, la Cimade, InfoMIE, Médecins du Monde, le Secours Catholique – Caritas France, le GISTI et l’UNICEF France. Soutenu par 28 organisations signataires dont la FASTI, la LDH, RESF.
https://www.lacimade.org/publication/rapport-en-finir-avec-les-violations-des-droits-des-mineurs-isoles-90-propositions-pour-une-meilleure-protection/#:~:text=%5B1%5D%20Le%20rapport%20%C2%AB%20En,soutenu%20par%2028%20organisations%20signataires.
  50 collectifs et associations membres de la Coordination nationale des Jeunes exilé-e-s, dont le collectif RESF MIE 92, adressent au Parquet, pendant le mois de février, des signalements de non-assistance à personne en danger concernant la mise à la rue des mineur-e-s en recours.
  Le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU sanctionne la France : la procédure d’évaluation de minorité des MNA ne respecte pas la CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant). https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CRC%2FC%2F92%2FD%2F130%2F2020&Lang=en
Le comité demande en particulier qu’un recours d’une évaluation de minorité soit suspensif, c’est-à-dire que les jeunes qui déclarent avoir moins de 18 ans soient considérés comme mineurs et bénéficient de la protection qui découle de ce statut pendant toute la durée de la procédure.
  Commentaire de la Défenseure des Droits : https://www.defenseurdesdroits.fr/2023/02/les-defaillances-dans-laccueil-dun-mineur-non-accompagné-et-la

Guettez ces initiatives s’ils repassent près de chez vous
  Terre de la conteuse Praline Gay Para (proche de RESF et de Paris d’exil) : elle manipule terre, sable et cailloux pour donner voix et corps aux femmes et hommes qui ont connu l’exil et qui ont eu à un moment l’espoir comme seul souffle de vie.
  Part-Dieu, chant de gare. De Julie Rossello-Rochet et la compagnie Le grand nulle part. Théodore, à 16 ans, est contraint de fuir la RDC. Il se retrouve seul en gare de Lyon Part-Dieu. Ou le parcours d’un mineur isolé étranger, sans pathos ni misérabilisme. Juste et précis, utile.
  Et le livre « Les engagés » d’Emilie Frèche, éd. Hachette Romans. 2022 : un texte qui prolonge le film du même nom, avec l’histoire de Joko, jeune exilé poursuivi par la police sur la route de Briançon.
  Le film « La Brigade ». Le 9 février, le Collectif RESF MIE 92, avec le soutien de la Ville de Gennevilliers et du cinéma Jean Vigo, a organisé une rencontre débat autour de ce film avec pour objectif de faire mieux connaître ces jeunes migrants trop souvent présentés comme des dangers pour la société alors que ce sont eux qui sont en danger dans nos rues. Si le film de Louis-Julien PETIT n’est pas inspiré d’une histoire vraie, il donne à voir le quotidien de jeunes migrants, les obstacles auxquels ils sont confrontés, les murs que dresse devant eux une administration à la Kafka : difficulté pour être scolarisé, déni de minorité et plus généralement suspicion généralisée. A l’issue du film peu de questions mais une écoute attentive et bienveillante aux témoignages apportés avec beaucoup d’émotion par les jeunes venus parler de leur parcours en France. Alice Achache, avocate au barreau de Nanterre, a apporté sa contribution au débat par son éclairage sur les procédures qu’elle engage pour les jeunes sous OQTF et ceux mis prématurément à la rue par l’Aide sociale à l’enfance.

BONNES NOUVELLES : OUI ! ELLES ET ILS S’EN SORTENT  : l’histoire d’Abdoul

Début septembre 2019 : il est sorti de l’ASE, du jour au lendemain, alors qu’il avait obtenu son CAP Cuisine en alternance cette année-là et avait signé un CDI de responsable cuisine dans un restaurant parisien.
Abdoul s’adresse à RESF. Un recours est engagé pour que l’ASE conclue un Contrat Jeune Majeur avec lui le temps qu’il trouve un hébergement autonome…
Parallèlement dès septembre, plusieurs familles du réseau des hébergeurs solidaires se relaient pour accueillir Abdoul qui peut alors continuer de travailler, malgré la précarité de sa situation.
Mi-octobre, très actif dans ses recherches, son dossier est accepté dans un FJT, d’abord en chambre à Paris, puis dans un studio à Clichy.
Autonome dans ses démarches, il obtient le renouvellement de son titre de séjour et détient actuellement un titre de séjour salarié, pluriannuel.
Début 2023, Abdoul a emménagé dans son logement au nord de Paris, et, jeune marié, il pourra y vivre avec son épouse qui viendra le rejoindre. Il est en train de passer son permis de conduire.
Vous pouvez déjeuner dans son restaurant : Factory Burger, 20 rue des Halles, Métro Les Halles ou Châtelet.
Bravo Abdoul !

Contact pour des infos, pour signaler une situation ou un besoin d’aide, pour participer aux permanences et accompagnements : collectif.resf.mie.92@gmail.com

Pour faire un don au Collectif RESF MIE 92 et contribuer à la prise en charge des situations les plus urgentes, vous pouvez utiliser la page HelloAsso de l’association (loi 1901) REJE 92 (Réseau d’Entraide Jeunes Etrangers 92) : https://www.helloasso.com/associations/reseau-d-entraide-jeunes-etrangers-92/formulaires/1