Editeur Actes Sud
Coéd. Solin
octobre 1996 /
336 pages
ISBN 978-2-7427-0898-7 / F73932
Commentaire trouvé sur le blog du Collectif contre les expulsions
http://ccle.collectifs.net/article.php3?id_article=196
" Vite, rentrez le linge ! ", expression qui accueillait l’arrivée des tsiganes voleurs de travail et de femmes, et même voleurs tout court. " Vite, rentrez le linge ! ", n’accueille plus les romanichels mais les demandeurs d’asile qui débarquent dans une Europe plus que frileuse. Pour ne plus avoir à " rentrer le linge ", il faut donc se débarrasser des demandeurs d’asile devenus plus qu’encombrants. Pour cela, l’Europe s’engage dans une politique d’expulsion à grande échelle. Chris De Stoop, journaliste à Knack, n enquêté pendant un an sur l’Europe et l’expulsion des " sans-papiers ". Il en est ressorti un bouquin traduit en 1996 en français aux éditions " Actes Sud ".
Le livre nous plonge dans la famille d’Aziza, jeune tzigane qui fuit avec sa petite famille la Macédoine, jeune Etat issu de l’implosion de la Yougoslavie. Aziza Mendoza trouve en Allemagne non la vie meilleure qu’elle cherchait mais un cauchemar où elle est poursuivie tant par la police que par la Ligue Allemande, groupe d’extrême droite qui bénéficie du laisser-aller des autorités. La famille Mendoza part alors chercher un accueil plus chaleureux en Hollande, mais elle sera renvoyée finalement dans les bidonvilles de Macédoine.
Chris De Stoop nous ballote d’un pays européen à l’autre en passant par le Ghana, le Nigeria, ,.. II sillone les méandres administratifs de l’expulsion, analysant ainsi toutes les méthodes utilisées par une Europe frileuse pour expulser ses indésirables. La Belgique est, elle aussi, la cible de son enquête.
On découvre ainsi que la déportation est devenue un marché juteux pour entre-prises privées. Après les bateaux, Budd, firme française, s’est reconvertie dans le rapatriement d’illégaux, commerce qui la lie surtout à la Belgique.
Faustin, son directeur, se charge de rapatrier les illégaux issus des pays européens contre rémunération (5.000 fr. par tête de pipe). On envoie ainsi tous les indésirables à Abidjan, où Budd, via ses très bons contacts avec les ambassades et administrations africaines, ramène les déboutés à " bon port ". Même sans papiers. Au départ, Budd offrait des assurances pour armateurs, couvrant tous les types d’avaries qui peuvent survenir à bord d’un bateau, y compris la découverte malencontreuse de clandestins dans sa cale. La reconversion vers le marché de la déportation fut d’autant plus facile.
Cette " assurance ", déchargeant les Etats européens d’un épineux problème, a séduit la gendarmerie belge, qui s’évite ainsi d’accompagner toutes les expulsions et de se démener dans les labyrinthes des administrations africaines. La Sabena a elle aussi été séduite par la formule’ assurance contre illégaux " et lui confie ses " inads ", directement refoulés dès l’aéroport, sans avoir même touché le sol belge.
D’autres sociétés ont profité de ce marché de la déportation qui s’ouvrait avec à la clé de plantureux bénéfices. SIAS, compagnie privée de soi-disant gardes du corps, propose les tarifs suivants : 850 fr. pour escorter un illégal. Ils étaient spécialisés dans l’accompagnement empêche tout contrôle sur ce qu’il se passe une fois les " déportés" remis entre les mains de ces firmes. Chris De Stoop signale ainsi des témoignages de gendarmes se plaignant du traitement brutal infligé par les employés de Budd, témoignages d’autant plus révélateurs qu’ils proviennent de personnes peu enclines à dénoncer la violence dont sont l’objet les expulsés.
Outre une enquête approfondie en Belgique, l’auteur a sondé le silence qui entoure la mise en place d’une Europe For teresse. Europe Forteresse d’autant plus absurde que les frontières ne pourront être et ne seront jamais imperméables. Les expulsés du Ghana, du Nigeria et la famille d’Aziza se retrouvent en effet dans les mêmes conditions qui les ont poussés à tenter une autre vie en Europe.