33 - Gironde

Yvette Ligney : lettre ouverte à Monsieur Lamy, préfet de la Haute-Saône (14 décembre 2006)

Cliquer ici pour en savoir plus sur la mobilisation pour la famille Raba.

Yvette Ligney
simple citoyenne
amie des familles menacées d’expulsion
Grande rue
70 160 Purgerot Vesoul , le 14 décembre 2006

lettre ouverte à Monsieur Lamy
Préfet de la Haute- Saône
1 rue de la Préfecture
70 000 Vesoul

Monsieur le Préfet,

L’expulsion de la famille Raba, autant que l’on puisse en juger a été effectuée en conformité avec les règles de droit et les procédures en vigueur. Pour autant elle nous surprend et nous indigne.
Cette mesure qui a soulevé une forte émotion dans le Département et au-delà contrevient aux recommandations du ministre de l’Intérieur ( circulaire du 13 juin 2006), s’oppose au principe d’égalité des droits sur le territoire français, ignore les particularités de notre départements et les requêtes de ses citoyens et bafoue des droits fondamentaux.
Elle est inhumaine.

Cette expulsion est en totale contradiction avec les objectifs de la circulaire NOR TNT K06 0058 C du 13 juin 2006 qui avait été rédigée « dans l’intérêt des enfants, afin de leur permettre de sortir d’une situation de précarité et de pouvoir bénéficier des conditions d’une intégration satisfaisante en France. »

Cette circulaire a été appliquée uniquement de façon restrictive en Haute- Saône, alors qu’elle devait mettre fin à des situations humainement douloureuses.

Nous constatons cette même restriction dans l’application de la circulaireDMP/CT/DM2-3/DGS N°2000-248 et NOR/INT/D/00/001/C du 5 mai 2000 relative à la délivrance d’un titre de séjour en application de l’article 12 bis, 11° de l’ordonnance n°45-2658 du 2 novembre1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers, qui permet à tout demandeur d’asile déposant un dossier médical, l’attribution d’un récépissé .Même restriction pour l’attribution de titre de séjour pour étranger malade : vous avez refusé l’attribution d’un titre pour étranger malade à M. O. contre l’avis du médecin inspecteur de la Dass et malgré les certificats établis par plusieurs psychiatres et psychologues, car selon vous, rien ne s’oppose à ce que madame O. se fasse soigner en Georgie où il existe des psychiatres . Ce dernier point est incontestable, mais madame O. ne pourra pas être soignée en Georgie, parce que si elle y est expulsée elle devra s’y cacher , et même si cela n’était pas le cas , elle ne pourrait consulter un psychiatre car il n’y a pas de psychiatre Yéside et qu’elle ne pourra pas être soignée par un médecin georgien des troubles consécutifs aux mauvais traitements qu’elle a subi par des Georgiens précisément. Cette dame a fait sa demande tardivement parce que nous répugnons à utiliser la maladie pour l’obtention de titres de séjour, car cela aggrave souvent la pathologie du malade, nous ne l’utilisons donc en dernier recours. Par contre , je conseille vivement à tous les demandeurs d’asile de faire constater les troubles dont ils sont victimes, eux ou leurs enfants, pour les aider , bien sûr, mais aussi pour qu’il y ait trace quelque part des traumatismes que la violence de ces situations ( en termes de précarité, cohabitation , isolement, insécurité..) génèrent et qui révèlent toute la maltraitance que l’état français exerce sur cette population.

Cette expulsion contrevient aux recommandations du Ministre de l’Intérieur qui préconisait que les décisions soient expliquées afin d’être comprises. Celle-ci , comme celle de la famille Sadoyan n’a jamais été ni motivée , ni expliquée sérieusement par vos services et nous avons déploré l’absence de réponses écrites aux demandes. Nous avons pu lire dans la presse locale des justifications, (mauvaise maîtrise de la langue), données de la part de vos services, qui ne reposaient sur aucun élément objectif. Ce diagnostic préfectoral n’a pas été établi en fonction de critères linguistiques définis mais uniquement sur l’acceptation de ces familles à avoir recours à un interprète . Comme vous le savez sans doute à présent , ces deux familles comprenaient et parlaient notre langue, comme ont pu en attester dans les deux cas les professeurs et journalistes qui les ont rencontrés .

Cette expulsion s’oppose au principe d’égalité des droits sur le territoire français. Dans le département voisin du Jura, 14 demandes sur 15 ont obtenu des réponses positives, alors que certaines familles ne remplissaient pas tous les critères, il suffisait de répondre à un ou deux critères pour pouvoir être régularisés. En Haute- Saône, tous les dossiers qui vous ont été adressés remplissaient tous les critères. Cette différence d’appréciation et d’application d’un même texte est aggravée par les conséquences dramatiques qu’elle entraîne, puisque la vie de personnes est en jeu .

Cette expulsion ne tient compte ni des particularités de notre département , ni de ses citoyens .
La Haute- Saône compte un nombre peu important d’étrangers , elle ne connaît pas de gros problèmes liés à l’intégration, elle est frappée de désertification et de manque de main d’ ?uvre dans certains secteurs ( bâtiment et secteur médico-social, aide aux personnes..), elle dispose d’un tissu associatif solide qui travaille inlassablement à la bonne intégration de chacun, et sur lequel vous auriez pu vous appuyer. Ces expulsions compromettent donc durablement une souhaitable coopération, notamment dans la lutte contre l’exclusion ( projet qui semble vous tenir à c ?ur), par la rupture de confiance qu’elle a entraîné.
Représentants d’associations diverses , élus , acteurs sociaux, se sont mobilisés dans leur grande diversité pour faire entendre leur incompréhension ou leur indignation face à une telle décision. Près de 1000 signatures papier ont été collectées, sans parler des signatures en ligne, chaque soir des habitants de Gray se sont réunis au Kiosque, pendant prés de 15 jours nous nous sommes réunis devant votre préfecture.. en vain .

Elle bafoue de manière indéniable des droits fondamentaux :
 le droit du sol, qui permettait aux deux plus jeunes enfants nés en France d’y rester .
 le droit pour l’aîné de rester dans notre pays puisqu’il y est arrivé avant l’âge de 13 ans,
le droit à l’éducation : Quérim, 7 ans et demi, ne parle suffisamment bien l’Albanais pour prétendre reprendre une scolarité facilement au Kosovo, probabilité d’autant plus réduite que cette région du monde n’est pas encore sécurisée, que tous les observateurs ( même l’Ambassade de France ) redoutent un embrasement pour la fin de l’année et que sa famille doit se terrer pour échapper à ses persécuteurs qui nous le savons les recherchent activement depuis leur arrivée. Il n’est donc pour lui plus question d’école dans ces conditions.
 le droit à une famille : la famille des enfants Raba c’était aussi et surtout , leurs cousines leurs oncles et tantes avec lesquels ils entretenaient des liens étroits et non pas les grands parents qui ne les connaissent pas et ne les attendaient pas .Par cette expulsion , les enfants ne reverront plus ceux et celles qui constituaient leur famille .
 l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme : lors de l’expulsion, madame Raba a subi des violences de la part des forces de l’ordre, le séjour en centre de rétention a profondément marqué les enfants, leur retour au Kosovo les expose à des violences encore pires que celles qu’ils avaient fui , puisque madame Raba a donné le nom de ses agresseurs et que l’un d’eux est devenu policier .

Depuis le début, nous avions pris note que ces familles sont déboutées du droit d’asile et c’est pourquoi notre argumentation s’exerçait dans le cadre de la circulaire du 13 juin.
Pourtant, les justifications que vous avez fourni, à monsieur Joyandet député maire de Vesoul, par un courrier dont il nous a donné copie, ou aux élus des deux cantons d’Héricourt , le 11 décembre2006 , se fondent sur les refus de l’OFPRA et de la commission des recours de leur accorder un statut de réfugié politique .
Le refus d’appliquer la circulaire n’a rien à voir avec les décisions de l’OFPRA ou du Tribunal administratif , puisque précisément elle ne concerne que des déboutés du droit d’asile, cette man ?uvre apparaît pour le moins abusive et nous amène à en déduire que vous ne pouvez en rien justifier cette expulsion .
Vous vous réfugiez derrière la décision du Tribunal administratif pour mettre en avant le fait que cette famille n’est pas en danger, puisque ce dernier n’a pas jugé irrecevable l’arrêté d’expulsion, or le Kosovo est un région où se trouvent encore les forces de l’ONU, où certains groupes ethniques sont menacés, et où l’on redoute une explosion de violence pour la fin de l’année. Les nouvelles que nous avons de cette famille depuis son arrivée ne font hélas que confirmer nos craintes puisqu’elle en est réduite à se terrer dans une chambre sans chauffage pour échapper à ses persécuteurs .

Par ailleurs, je ne peux que dénoncer les procédés utilisés dans votre préfecture :
 des allégations mensongères : « le préfet fait valoir qu...la compagne du requérant, elle aussi en situation irrégulière a déclaré vouloir s’en séparer.. »( Tribunal administratif de Lyon, audience du 18 /9/2006) . Cela n’a jamais été le cas. Ce procédé visant à dresser la femme contre son époux, a été utilisé pour obtenir le maintien en centre de rétention de Monsieur Kagramanian, et permettre l’expulsion séparée d’une famille vers deux pays différents et ennemis. Si vous aviez réussi à obtenir son expulsion vers l’Arménie comme vous avez tenté de le faire, cet homme n’aurait jamais pu revoir ses enfants.
 l’intimidation : une personne de nationalité georgienne en situation régulière avait conduit monsieur Sadoyan à la préfecture, il a été demandé à ce dernier qui l’ avait amené, un employé de vos services a couru jusqu’à la voiture de cette personne a demandé papiers et permis de conduire pour les photocopier .
 l’humiliation : j’ai moi même assisté à une entrevue entre le Directeur des libertés publiques et des collectivités locales et monsieur Outeyan, le directeur assénait à ce dernier que non , il n’était pas Yézide , mais georgien, « vous êtes nourri par l’état français, soigné par l’état français , hein , c’est la France qui paie tout cela ! ! » disait-il à un homme qui réclame depuis des mois l’autorisation de travailler et qui a une promesse d’embauche ! !
 l’arrestation précipitée et abusive : Reine a été arrêtée devant moi ( elle est en situation régulière), donc devant tout le monde à la préfecture , une employée a conduit les policiers en leur disant « c’est la dame noire au guichet... » cette dame a été emmenée au commissariat et, depuis a obtenu des excuses de vos services .
 la rétention de documents et pressions abusives : j’ai obtenu de votre chef de Cabinet que soit enfin restitué à Monsieur Kagramanian son extrait d’acte de naissance nécessaire à la constitution de sa demande de reconnaissance de son apatridie . Le Directeur des libertés publiques refusait de le lui rendre, lui demandant au préalable de signer une demande de reconnaissance de citoyenneté arménienne .
 le mensonge et la ruse : les forces de l’ordre ont téléphoné à monsieur Sadoyan le 24/8/2006 pour lui demander de regagner la gendarmerie car sa fille était malade et devait aller à l’hôpital, l’incohérence de ces propos n’a pas échappé à M .Sadoyan

Enfin , sur l’Ofpra et la commission des recours, je peux dire pour côtoyer depuis plusieurs années des demandeurs d’asile que ce système est injuste, cruel, inutile et néfaste.
 injuste :ce sont les plus faibles, les plus pauvres et les moins instruits qui se voient refuser le statut de réfugié politique : parce qu’ils sont partis de nuit , à toute vitesse, parce qu’ils n’ont eu ni le temps ni les connaissances requises pour constituer des dossiers, parce qu’ils sont incapables d’exprimer clairement, même dans leur langue, ce qui leur est arrivé et qui leur arrive et parce qu’ils n’ont pas les moyens de choisir un bon avocat.
 cruel : car il fait fi du vécu des enfants, de la situation catastrophique qui les attend en terme de précarité comme d’insécurité, car il nie les violences subies, et sépare des familles
 inutile : par ma pratique, je sais que ces personnes reviendront, un peu plus tôt , un peu plus tard, qu’elles enrichiront encore des passeurs, qui eux ne connaissent pas de problèmes de papiers, je sais aussi qu’il n’y a pas d’arrivée massives de Kosovars ou de Georgiens, et que cela ne dépend en rien des bons ou mauvais traitements que l’on fait subir aux réfugiés
( le risque de noyade freine-t-il les jeunes africains qui veulent gagner le continent ?)
 néfaste : comme toutes les solutions qui n’en sont pas, parce qu’elles empêchent de chercher des solutions moins simplistes mais plus efficaces
parce que des enfants, comme Selma Mercan, expulsée avec ses parents menottés , dans les cris et les pleurs en 2005 , Selma qui adorait l’école et sa maîtresse , risquent de nourrir des sentiments de haine envers ceux qui ont ainsi traités leurs parents, j’ose espérer que quand elle parlera de la France , Selma se souviendra aussi de son école...
parce que l’on crée de véritables pathologies de l’exil avec des groupes d’êtres , marginalisés, dans l’incapacité de se stabiliser , errant en Europe en parce que rejetés de toute part et qui constitueront demain pour nos enfants un problème explosif .
parce que l’énergie que nous déployons à protéger des demandeurs d’asile limite celle que nous devrions employer pour régler le problème à la source ( dénonciations des violences et discriminations dont souffrent les Yésides en Arménie et en Georgie par exemple), un des premiers droits que nous défendons étant celui de pouvoir rester vivre dans son pays .

Ainsi donc, Monsieur le Préfet, je ne peux que m’indigner de votre obstination à refuser une quelconque régularisation à ces familles. Lors d’une entrevue, vous aviez cru bon de préciser que vous étiez non pas au service de la République mais d’un ministre . Dans ma grande naïveté je pensais qu’un ministre ne pouvait qu’être au service de la République et que donc vous l’étiez aussi . Cette précision prend à présent tout son sens, car les ordres auxquels vous obéissez bafouent les valeurs républicaines .
Je vous prie de faire revenir les familles Sadoyan et Raba , victimes d’une erreur manifeste d’appréciation, pour ne pas dire d’une terrible injustice aux conséquences dramatiques, de régulariser au plus vite les autres familles et de mettre fin aux pratiques honteuses que j’ai dénoncées dans cet écrit.

Si je m’étais toutefois égarée et que vous puissiez m’apporter un élément justifiant l’expulsion de la famille Raba et la non-régularisation des autres familles, je saurais en prendre acte .

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de recevoir monsieur le Préfet l’expression de ma haute considération.

Yvette Ligney

Copies adressées à Monsieur le Préfet de Région, à Monsieur le Ministre de l’Intérieur et à la Presse

Les lois et textes sont faits pour servir des grands principes et permettre que chacun puisse exercer ses droits et ses devoirs .Vous les avez utilisés à des fins contraires et les procédures pour être légales n’en ont pas moins abouti à une criante injustice .