45 - Loiret

(blog RESF) : JUNIOR, LE TIERS DE SA VIE EN FRANCE. EXPULSE DEMAIN ?
par RESF

Junior, 26 ans, arrivé en France il y a sept ans, contrôlé au faciès, en rétention depuis presque un mois, expulsé demain (21 février) vers un pays où il ne connait plus personne… Le sens de l’humanité selon Macron !

Junior Kabongo, retenu au CRA de Vincennes depuis le 23 janvier, en
risque imminent d’expulsion. Il vient d’Orléans, soutenu par RESF 45, au CRA, le relais est assuré par d’autres militants du réseau.

Nous sommes les premiers visiteurs, nous avons donné nos cartes
d’identité, mais l’attente se prolonge. Sur notre demande, on finit par
nous lâcher que les visites sont suspendues. Pour combien de temps ?
Mystère. Que se passe-t-il, une révolte ? Non, dans ce cas, elles
seraient interdites. Une petite révolte, l’agent ne dit ni oui ni non.

Enfin. On entre. Palpation musclée, dépôt complet des effets sauf
papier, crayon, et l’argent qu’il faut remettre d’entrée de jeu à
Junior. Junior, grand et musclé, 26 ans, nous accueille chaleureusement, mais peine à esquisser un sourire. Il a besoin de parler :

  • J’ai peur, vraiment peur. Je ne dors plus, je suis trop inquiet. Là-bas, à Kinshasa, je vais aller en prison. Les jeunes qui sont partis là-bas, on les prend pour des combattants, des opposants. On les laisse en prison. Moi ma vie c’est la France, je suis là depuis 8 ans. C’est ici ma vie. C’est ici que j’ai fait toute ma scolarité, à Orléans, avec le Greta, j’ai appris le français, les mathématiques, j’ai tout appris. J’ai fait mon bac pro, productique. Toute ma vie est ici, mes connaissances, là-bas je n’ai personne. S’il vous plait que la France me laisse une chance, une dernière.
    Nous lui rappelons son droit à refuser l’embarquement vendredi matin.
    Et s’il y parvient, s’il a la possibilité de passer devant le JLD le
    lendemain samedi, aurait-il d’autres éléments à faire valoir ?
  • J’ai une promesse d’embauche, j’étais venu à Paris pour ça. Un patron en électricité, il m’a tout de suite fait la lettre.
    Mais il revient très vite sur sa peur :
  • Là-bas, je n’ai personne. Quand j’étais encore petit enfant, mes parents sont partis avec moi pour vivre dans le nord Kivu dans la province de Kichanga. En 2012, il y a eu la guerre. Des groupes rebelles tuaient, massacraient et violaient la population. Mes parents en ont été victimes et sont morts tous les deux. C’était le 29 avril 2012. Une commerçante qui repartait sur Kinshasa m’a permis de fuir en m’emmenant avec elle. Je me suis retrouvé seul dans cette grande ville, sans endroit pour dormir ou manger. Je subsistais en aidant sur les marchés, en faisant la vaisselle dans les restaurants, la livraison des achats des clients à leur domicile, etc. Et là, j’étais enfant des rues.
  • Si je suis renvoyé là-bas, je serai accompagné par la police, qui va me remettre à la police congolaise, qui me mettra en prison. En Afrique, c’est pas comme en France, il n’y a pas de droits de l’homme, il n’y a rien.
    As-tu vu ton avocat ?
  • Il m’a appelé, m’a dit qu’il va passer, j’espère qu’il va venir.
    Comment as-tu été arrêté ?
  • J’attendais dans le bus, à la gare routière de Bercy, pour rentrer à Orléans, c’était 10 h du matin. Puis le responsable de la gare nous a fait descendre et la police est arrivée, deux hommes jeunes, en civil, ils ont mis de côté tous ceux qui avaient un air étranger, les Africains, Indiens. Il m’a demandé mon titre de séjour, j’ai répondu : mon titre de transport ? Non, le titre de séjour. Je n’en ai pas, alors ils m’ont emmené en voiture au commissariat pour la garde à vue. Toute la journée jusqu’à 18 h. Et ils amenaient d’autres jeunes, toute la journée. Et ils nous ont dit « maintenant, c’est le centre de rétention ».
    Très ému, Junior déclare :
  • C’est ici ma vie, je demande pardon au préfet…
    Nous l’interrompons :
  • Tu n’as pas à demander pardon, tu n’as rien fait de mal…
  • Non, j’ai toujours essayé de faire ce qu’il fallait. Mais quand j’ai demandé un titre, en 2015, j’ai eu une OQTF, nous sommes allés au tribunal avec Ségolène, et ensuite, rien n’est venu.
    Vraiment je ne m’attendais pas à être renvoyé comme ça.
  • Comment vis-tu ?
  • J’ai été bénévole à Emmaus, je fais de la musique, de la batterie, à l’église, et on me demande pour des fêtes, des mariages, et on me paye 10, 20 €. J’habite chez une « sœur » de l’église, à Orléans. J’allais avoir un travail. Je voudrais tellement vivre ici, avoir des enfants, travailler.
    On nous signale que le temps de visite est écoulé. Junior ajoute :
  • Ici c’est violent, ils entrent dans les chambres, mettent tout le monde dans le couloir, fouillent.

Nous nous séparons, en l’assurant que nous ne baissons pas les bras pour lui.

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