émancipation : Entretien avec Florimond Guimard

Entretien avec Florimond Guimard

jeudi 18 octobre 2007

(article publié dans la revue "L’Emancipation syndicale et pédagogique", n°2 d’octobre 2007)


TouTEs en grève et dans la rue le 22 octobre
pour soutenir Florimond Guimard

Florimond Guimard est un des militants du Réseau Education Sans Frontières dans les Bouches-du-Rhône. Il est poursuivi pour une action collective du réseau le 11 novembre 2006 sur l’aéroport de Marignane. Initialement prévu le 20 avril, son procès a été reporté au 22 octobre. Nous l’avons interrogé sur RESF et sur la mobilisation à l’occasion de son procès.

L’Emancipation : peux-tu rappeler la naissance de RESF 13 et son mode de fonctionnement ?

Florimond : le Réseau Education Sans Frontières des Bouches-du-Rhône s’est structuré à la rentrée de septembre 2005 à Marseille (à l’initiative de camarades de la CNT-Education) dans la lignée du RESF d’Ile de France créé lui le 26 juin 2004 à la Bourse du Travail de Paris : la fin de l’année scolaire 2003-2004 avait vu les premiers policiers entrer dans les établissements scolaires pour arrêter des élèves majeurs sans papiers.

En deux ans, RESF 13 a beaucoup fait parler de lui, avec des succès et des échecs. Mais des échecs relatifs : avant qu’existe RESF, qui se souciait des personnes expulsées de France ? Peu de gens. Aujourd’hui même si bien sûr, nous n’arrivons pas à empêcher toutes les expulsions de parents d’élèves ou de jeunes, cela ne se fait plus en catimini. Le discours « avec fermeté et humanité » (qui date de Debré à l’époque de St Bernard) passe de moins en moins, RESF ayant permis de révéler à l’opinion publique l’ampleur et l’horreur des drames dont l’Etat français est responsable.

Il est rare de voir une organisation monter en puissance comme cela, bien au-delà des cercles militants, dans un cadre lié à l’Education. RESF n’est pas une organisation au sens d’une association, d’un syndicat ou d’un parti politique, mais il y a évidemment de l’organisation dans ce réseau. C’est en partie un fonctionnement souple (pas de réunion de bureau ou de CA, fonctionnement en AG, liste Internet horizontale…) qui fait la force du RESF : chaque personne qui veut s’investir a directement les moyens de le faire, sans passer par des réunions interminables ou des intermédiaires.

Les syndicats, qui peinent de plus en plus à rassembler les travailleurs/ses, disent vouloir « s’inspirer d’un fonctionnement comme celui de RESF » (propos entendu en congrès). Ils feraient bien de passer à l’acte car les syndiquéEs n’ont pas vraiment l’impression que leur avis soit entendu.

RESF n’avait pas pour objectif de créer une nouvelle association solidaire avec les Sans PapierEs. Elles existent déjà (collectifs de Sans PapierEs, LDH, Cimade, MRAP, Gisti, associations locales…). Le but était double : mettre en synergie des organisations, chacune avec ses compétences (associations pour le droit des Etrangers, syndicats pour mobiliser, élus pour représenter si nécessaire…), et démultiplier cette solidarité via les établissements scolaires, derniers lieux sans discrimination pour les parents sans papiers et leurs enfants. Bref créer des collectifs d’établissements parents/enseignants, autonomes, reliés entre eux par Internet et par les organisations membres du réseau (dont la Fcpe et les syndicats enseignants).

Nous devrons renforcer cette organisation en réseau, car avec Sarkozy au pouvoir pour (au moins !) 5 ans, il va falloir tenir sur la durée.

Il existe sur les Bouches-du-Rhône des collectifs RESF à Arles, Martigues, autour de l’Etang de Berre, à Aubagne, Salon, Istres, Miramas, Aix, Marseille… Nous devons aussi agir avec des départements voisins (je pense au Gard où un nouveau centre de rétention s’est ouvert à Nîmes en juillet 2007)

Peux-tu revenir sur l’action qui s’est déroulée à Marignane et pour laquelle tu es poursuivi ?

F : En novembre 2006, un père d’élève de mon groupe scolaire, dont la famille s’était vue refuser la régularisation dans le cadre de la circulaire du 13 juin 2006, est arrêté et placé au centre de rétention de Marseille. Rapidement la mobilisation se construit dans la communauté éducative. Le 9 novembre 2006, une première tentative d’expulsion par bateau est mise en échec par le refus des marins CGT de la SNCM (Société Nationale Corse-Méditerranée), alertés par le RESF et le Comité de Sans PapierEs13 (dont le parent d’élève est membre) de prendre la mer avec cet homme à bord. Le 10 novembre une manifestation rassemblant plusieurs écoles (parents d’élèves et enseignantEs en grève) essuie un refus de tout dialogue du côté de la préfecture. Le 11 novembre ( !), une nouvelle tentative d’expulsion, par avion cette fois-ci, a lieu : il y a là un véritable acharnement préfectoral car ce père d’élève devait repasser devant le juge le jour même. Rapidement environ 200 manifestants convergent vers l’aéroport de Marignane. Sur place, je croise avec ma voiture le véhicule de police dans lequel se trouve le parent d’élève. Je le suis à distance. Les policiers m’accusent « d’avoir tenté de les percuter à plusieurs reprises ». Il n’y a bien sûr aucun impact sur leur carrosserie, et ce sont plutôt eux qui ont été dangereux en accélérant pour finalement me faire fuir.

Un peu plus tard, un policier m’accuse d’avoir, à l’entrée du tarmac (où une dizaine de manifestantEs s’introduiront, puis seront arrêtéEs et devront payer chacunE 172€ d’amendes) manœuvré une barrière qui lui aurait touché le pouce et lui aurait occasionné une interruption temporaire de travail d’un jour !!

On pourrait en rire. Mais ces faits (« violence aggravées avec arme par destination » la voiture ! et « violence aggravées en réunion sur agent » le pouce !) sont passibles de 3ans d’emprisonnement et 45000€ d’amendes !

Le pouvoir, à travers ton cas ou celui d’autres militantEs cherche à criminaliser les camarades actifs/ves. Va-t-il réussir à casser le mouvement de solidarité ?

F : Bien sûr que non, il n’y arrivera pas. Notre fonctionnement, comme je l’ai expliqué, n’a ni chefs, ni centres décisionnels. Me couper la tête ne décapitera pas le RESF13, d’autres têtes sortiront de l’ombre à ma place comme dit la chanson. Et elles vont même être de plus en plus nombreuses, car la politique visant coûte que coûte à un quota d’expulséEs provoque indignation et mobilisation citoyenne. Par exemple à ce jour (16 septembre) : cela fait dix jours que trois enfants albanaisES du Kosovo de 11,13 et 14 ans sont enferméEs au centre de rétention de Marseille. Cela met des gens dans la rue. Ils/elles font le lien avec le projet de loi prévu pour passer à l’assemblée le 18 septembre qui va durcir le regroupement familial. D’où un grand rassemblement devant la préfecture de Marseille.

Idem dans les avions. Les violences policières sont de plus en plus courantes en cas de refus d’embarquement. Du coup de plus en plus de passagers s’en offusquent et refusent de voyager dans ces conditions. Le malaise grandit chez les personnels de bord également. Plusieurs syndicats d’Air France ont demandé que la compagnie ne serve plus de prête main commercial (une expulsion coûte très cher) à l’Etat.

Face à cette violence croissante (rafles dans certains quartiers, arrestations à domicile, enfants en rétention, violences policières…) la solidarité grandit. L’Etat tente de contrecarrer cette résistance en poursuivant judiciairement quelques citoyens qui se lèvent. Ça ne marchera pas. Ça ne marche d’ailleurs pas : les premières personnes poursuivies pour avoir protesté dans les avions, ont été relaxées.

RESF doit-il se limiter aux familles d’enfants scolarisés ou défendre tous les Sans-PapiersEs ? Quelles sont les relations avec les autres associations ?

F : Dès sa création, à Marseille comme ailleurs, les choses ont été claires : le terrain d’action du RESF est l’Education nationale, avec objectif comme je l’ai indiqué de constituer des collectifs RESF dans le plus grand nombre d’établissements. Mais la solidarité du RESF, à travers chaque individuE et chaque organisation selon ses sensibilités, s’étend à tous les Sans PapierEs évidemment. Comment pourrions-nous opérer un tri entre les bons Sans Papiers parents d’élèves, étudiants ou élèves et les autres, célibataires ou sans enfants scolariséEs ? Ces derniers ont de toute façon vocation dans leur grande majorité à rester en France, à construire leur vie ici, à avoir des enfants… Mais il faut aussi être réalistes : nous n’avons pas les forces, pas encore, pour nous opposer à toutes les expulsions.

Nous avons des liens étroits avec des associations qui luttent au côté des Sans PapierEs et RESF a souvent permis de les fédérer. Tout n’est pas simple. À Marseille par exemple, le Collectif Sans Papiers (unique) est en lien avec la CGT depuis toujours, ce qui est un atout. Quand RESF s’est constitué, il a fallu montrer que nous ne désirions pas affaiblir ce lien, mais au contraire renforcer le CSP et lui permettre d’avoir d’autres liens (dans les établissements scolaires en particulier) tout en gardant un partenariat privilégié avec la CGT. C’est compris du côté du CSP, un peu moins du côté de la CGT qui ne veut pas participer activement au RESF. Ceci dit, nous essayons d’éviter les faux débats : dans ou hors du RESF, il y a de la place pour tout le monde, surtout au regard du nouveau contexte politique.

La solidarité au moment de ton procès est-elle satisfaisante ? Les syndicats en font-ils assez ? Parle-nous de ce qui s’est passé en avril, des mots d’ordre de grève, de la manif du 20, du rassemblement devant le tribunal, de la semaine qui précèdera le procès.

Satisfaisante ? Le mot est faible ! Je ne remercierai jamais assez tout le monde. Il y a un travail de fourmi, mené par un nombre incroyable de militantEs, tant au niveau local que national, tant via « l’ovni RESF » que dans les syndicats… qui contribuent à faire que ce procès ne soit pas celui de Florimond mais celui de la solidarité. Alors certes nous n’étions pas 100000 dans les rues d’Aix en Provence le 20 avril pour la première audience (finalement reporté au 22 octobre) comme c’était le cas à Paris en1997 contre les lois Debré. Mais ça a tout de même eu un écho national. Ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu 2000 personnes dans les rues d’Aix et par ailleurs plus de 15000 personnes ont déjà signé la pétition de soutien (sur le site du RESF ou celui de la FSU13).

En avril, c’était les vacances scolaires localement et pour la zone Paris/Bordeaux. Un préavis de grève national avait été déposé par plusieurs syndicats (FSU, SUD…). Cette fois-ci, le 22 octobre, les 3 zones travaillent. Des préavis de grève sont déposés dans l’Education. Certaines petites organisations (SUD, CNT, SDEN-CGT) ont annoncé qu’elles appelleraient à la grève localement. La FSU et le SNUipp13 (mon syndicat), au regard du fait « que ce sera difficile de mobiliser largement ce jour-là » n’appellent pas à la grève pour l’instant. On en pense ce qu’on veut. Moi je n’ai pas envie de me rajouter une pression supplémentaire. Si tout le monde appelle à la grève lundi 22 octobre, tant mieux. Mais ne nous y trompons pas, même un appel unitaire n’est pas la garantie d’une mobilisation conséquente qui est absolument nécessaire. S’il peut y contribuer, c’est surtout le travail d’information, de communication via toutes les organisations du RESF, via tous les individus solidaires des Sans PapierEs qui est important. Si les 250 personnes que le RESF13 peut rassembler spontanément arrivent à faire venir trois personnes (collègues de travail, amis, famille…), ce qui n’a rien d’évident, alors la mobilisation sera réussie, avec ou sans appel à la grève.

Dans cette optique, les « petites mains » du RESF13 organisent une semaine d’action du 15 au 22 octobre (projections-débats, conférences, concerts, manifs…)

Quant au samedi 20 octobre, nous voulons en faire une manifestation à caractère régionale au moins. Contre la criminalisation de l’action citoyenne et militante. Ça dépasse largement mon cas et même le RESF. La répression sarkozyste s’abat tous azimuts (y compris sur des élus qui organisent des parrainages de Sans Papiers). Il faut pouvoir dire Stop ! Là encore, ce n’est pas le fait de décréter une manif qui nous fera réussir. ChacunE et chaque organisation, à tous les niveaux, doit relayer l’information et faire venir du monde (dont des personnalités).

Au RESF c’est comme ça que ça fonctionne « c’est celui qui le dit qui le fait ». Alors pour réussir le 20 et le 22 octobre, personne ne doit attendre que « l’autre », le conseil syndical X ou le bureau associatif Y le fasse. ChacunE peut se mettre en action.

Et il y a urgence.

Propos recueillis par Pierre Stambul

http://www.emancipation.fr/emancipa/spip.php?article359